SEXE VIRTUELAvec le confinement, les camgirls triment entre forte demande et galères

Coronavirus : Avec le confinement, l’activité des camgirls explose (mais dans quelles conditions?)

SEXE VIRTUELLa webcam peut être une forme de télétravail pour les travailleuses du sexe, « ces oubliées du confinement », note le Syndicat du travail sexuel (Strass). Mais si l’activité de camgirl est en plein boom, quelle est la réalité derrière l’objectif ?
Romain Lescurieux

Romain Lescurieux

«Est-ce qu’on me voit bien ou c’est flou ? » La webcam est pointée sur son décolleté. Il est bientôt 16 heures et les internautes bombardent Stéphanie* de messages dans le chat. Leurs requêtes sexuelles s’entrechoquent de questions sur le confinement décrété il y a dix jours en raison de l’épidémie de coronavirus qui secoue la France. « Pas trop dur le confinement ? », lance l’un d’eux. « On fait avec. On n’a pas trop le choix, on prend son mal en patience », répond la jeune femme devant l’objectif. « Vous êtes nouvelle ? », demande un autre utilisateur sous pseudo. « Non, mais je ne me connectais pas souvent jusqu’ici », rétorque Stéphanie, avant de passer en « show privé ».

Comme elle, sur ce site spécialisé, de nombreuses camgirls bossent. Sur un canapé, une chaise de bureau, dans une chambre parfois en désordre, une vaste maison ou un micro-appartement, ces « animatrices de webcam » s’exhibent. Le virtuel comme respect des gestes barrières. Certaines n’ont pas changé leurs habitudes de connexion, d’autres sont sur le retour ou viennent tout juste de débarquer dans le milieu. Car avec le confinement et l’interdiction d’avoir des contacts physiques, projetant notamment la prostitution au point mort, tout comme la production pornographique et l’escorting, la cam est en plein boom. Les clients à l’affût.



« En ce moment les gens s’embêtent, cherchent de l’occupation, de l’interaction, de l’excitation. Et pour faire leur affaire, ils tombent sur nous », décortique auprès de 20 Minutes, ClaraHot, 45 ans, 18 ans de métier, une des pionnières de la cam en France. « Le confinement est une chance pour nous les camgirls », note-t-elle.

« Les demandes en augmentation depuis le début du confinement »

« Les demandes sont en augmentation depuis le début du confinement », confirme aussi à 20 Minutes, Kat Aluna, camgirl depuis cinq ans et qui se connecte 2-3 heures par jour pour « subvenir à la demande ». « En ce moment, nous gagnons des clients célibataires mais nous pouvons perdre aussi les hommes en couple qui ne peuvent plus se rendre sur les sites de livecam (…) Il y a aussi nos fidèles qui sont du coup bien plus disponibles et demandent plus d’attention », précise-t-elle. A 33 ans, la jeune femme, autoentrepreneuse, est devenue « coach » pour aider les femmes et les couples à se lancer dans ce monde de cam amateur.

Ce monde virtuel, héritier du Minitel Rose – animé par ces fameuses camgirls mais aussi des camboys – est d’ailleurs en passe de concurrencer sérieusement l’industrie pornographie plus classique. Une sorte d’ubérisation du X ? « La quasi-totalité des camgirls sont des travailleuses indépendantes. La promotion de ce type de travail est envisagée sous cette forme, avec une argumentation uniquement économique, comme pour les chauffeurs Uber ou les livreurs Deliveroo », estimait sur France Culture, en 2018, Pierre Brasseur, sociologue, chercheur associé au laboratoire Pacte (Université Grenoble Alpes).

Le Minitel Rose
Le Minitel Rose - SIPA PRESS

« En ce moment on double nos salaires »

Chez Desir-Cam, site français créé en 2011, on dit n’avoir jamais vu une telle demande de part et d’autre. « C’est un pic historique. La fréquentation des clients a augmenté. Nous constatons davantage d’inscriptions, l’arrivée d’une nouvelle clientèle et des achats de minutes de show ». Sur un autre site de livecam, on confirme la tendance : « Notre trafic a augmenté de 20% depuis le début du confinement et les gens dépensent plus ».

« Mais ce qui est incroyable, c’est le nombre de femmes qui se sont inscrites en tant que camgirls », détaille auprès de 20 Minutes, Stéphane, co-fondateur et responsable de Desir-Cam. Là où d’habitude il a 2-3 inscriptions par jour, il comptabilise en ce moment 78 inscriptions en une semaine. « J’ai même validé 13 inscriptions d’hôtesses ce mardi matin », ajoute celui qui est confiné en Colombie.

« Celles qui avaient une activité à côté, s’y remettent aussi à fond avec le confinement. En ce moment on double nos salaires. Une fille qui était 2.000 euros par mois va gagner près de 4.000 », précise de son côté ClaraHot qui est également devenue coach. Mais qui sont ces nouvelles recrues sur ces sites, dont les commissions sont très variables ? Et dont le secteur est dominé par des mastodontes américains.

Du pavé à la toile ?

Avec les récentes mesures et l’obligation de rester chez soi, les tournages pornographiques sont en panne sèche, l’activité d’escort est à plat. Aussi, la prostitution a été stoppée net, pour une situation « dramatique ». « Une partie de la population est sous-considérée, dont les travailleuses du sexe. Nous sommes les oubliées du confinement. L’activité des travailleuses du sexe s’est arrêtée. Depuis avril 2016 (le vote de la loi de pénalisation des clients des prostitués, ndlr) la situation s’est beaucoup précarisée mais là c’est terrible. Il y a des filles qui se retrouvent à devoir choisir entre manger ou se loger. Le confinement a aggravé une situation déjà très précaire. Certaines crèvent la dalle. Il n’y a plus de clients », déplore Anaïs de Lenclos, porte-parole du Syndicat du travail sexuel (Strass) contacté par 20 Minutes. « Pourtant nous payons nos taxes, nos impôts. Nous sommes un mal nécessaire, nous sommes aussi psychologues de proximité, sexologues. Mais nous sommes les intouchables, si on crève ce n’est pas grave », s’exclame-t-elle. Le Strass a d’ailleurs mis en place une cagnotte pour notamment offrir des paniers repas aux travailleuses du sexe en difficulté.

Se tournent-elles actuellement vers la cam ? « Pour celles qui faisaient du réel, la cam est une solution de repli », confirme ClaraHot. « Oui, mais ce n’est pas si systématique », nuance Anaïs de Lenclos. « Ce sont surtout des escorts et des actrices X qui se connectent », tempère toutefois la première. Stéphane, lui, confirme l’arrivée de nombreuses escorts sur son site qui compte 3.200 hôtesses de webcam francophones. « On accepte tous les profils mais on fait tout pour ne pas basculer dans une plateforme de prostitution virtuelle », assure-t-il. Mais face au confinement, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne et les inégalités se creusent. Même dans le sexe. Surtout dans le sexe.

L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

« Faire ça dans un appartement microscopique, en bordel, et pour certaines avec des enfants, c’est compliqué »

« Plein de gens essayent de se mettre à la cam mais ce n’est pas si simple. Il faut quand même être équipé, avoir un ordinateur, une connexion, un lieu adéquat », reprend Anaïs de Lenclos. Et de préciser : « Tout le monde n’a pas 300m2. Et faire ça dans un appartement microscopique, en bordel, et pour certaines avec des enfants, c’est compliqué… Les camgirls rament ». D’autant plus avec la concurrence des plateformes porno qui offrent l’accès à des contenus gratuits : « Une vacherie », selon certaines. « C’est compliqué de débarquer comme ça sur Internet, se faire connaître, se faire une clientèle. Ça demande du temps. C’est un métier, ça ne s’improvise pas », poursuit Anaïs de Lenclos. Même son de cloche pour Eva Vocz, 27 ans, coordinatrice de la fédération Parapluie Rouge (anciennement collectif Droits et Prostitution) et camgirl depuis 2018.

« Pour compenser et subvenir à leurs besoins financiers, beaucoup font de la webcam. Pour les travailleurs du sexe, c’est leur forme de télétravail. Sauf que les plateformes nous prennent entre 30 et 70 % de nos revenus », déplore Eva Vocz. Elle rappelle d’ailleurs que le métier est loin d’être sans risques. Notamment sur les dangers d’outing, de cyberharcèlement, de vol de vidéos, sans compter une future loi contre la haine en ligne qui pourrait pénaliser les camgirls, déjà touchées par la suppression de compte PayPal ou de leurs cagnottes en ligne, critique-t-elle. Et ce, avec également un risque de revenge porn réel, insiste la jeune femme. « Ce qu’a vécu Benjamin Griveaux, ça arrive tout le temps et à toutes les camgirls ».

* Le prénom a été modifié