Coronavirus : « Le nombre de cas n’est que la partie émergée de l’iceberg », alerte Philippe Juvin
INTERVIEW•Chef du service des urgences de l’hôpital Georges-Pompidou, à Paris, Philippe Juvin affirme à « 20 Minutes » que les statistiques liées au coronavirus sont sous-évaluéesPropos recueillis par Vincent Vantighem
L'essentiel
- Chef des urgences de l’hôpital Georges-Pompidou, à Paris, Philippe Juvin alerte, depuis plusieurs jours, sur la nécessité de confiner les Français pour éviter une propagation du coronavirus.
- Il affirme que les statistiques du nombre de personnes contaminées ou mortes à cause du virus sont sous-évaluées.
- Mais, selon lui, ces statistiques sont indispensables pour pouvoir adapter le dispositif.
En première ligne et sur tous les fronts. Chef du service des urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou à Paris, Philippe Juvin est aussi un homme politique réélu dimanche maire (LR) de La Garenne-Colombe (Hauts-de-Seine) dès le premier tour. Le soir, il défile aussi devant les caméras de la France entière pour donner de précieux conseils sur la gestion du coronavirus. 20 Minutes est parvenu à l’arrêter quelques minutes pour faire le point sur l’épidémie…
Tous les soirs, à 19 h, la direction générale de la santé dévoile le nombre de cas de coronavirus en France. Cela a-t-il vraiment du sens dans la mesure où l’on ne teste pas toute la population ?
Ce chiffre n’est que la partie émergée de l’iceberg. Parce qu’on limite le nombre de tests aux patients qui se signalent et à ceux qui sont porteurs de facteurs comorbides [qui présentent une autre pathologie en plus de soupçons de coronavirus]. Donc il y a une partie très importante de la population qui est malade ou susceptible de l’être et qu’on ne teste pas. Regardez les maisons de retraite ou les prisons : on ne fait pas de tests. Si on en faisait, on trouverait des cas positifs.
Donc cela n’a pas de sens ?
Si. Par défaut, cela a du sens. Cela donne une idée. Et il faut bien qu’on ait une idée pour adapter notre dispositif. Sans le travail de Jérôme Salomon [le directeur général de la Santé], on serait dans le flou le plus total.
Comment se fait-il que l’on ne parvient pas à avoir des statistiques plus fiables ?
Dans le cas d’une épidémie, il faut mettre en place une étude de cohorte pour y voir clair. Cela permet de compter tout le monde, les personnes saines, comme les malades. Dans le cas du Covid-19, cela va trop vite pour que l’on puisse compter.
Il y a une exception à cela, c’est le Diamond Princess du nom de ce bateau qui est resté à quai en quarantaine à Yokohama avec des malades à bord. C’est un modèle expérimental mais les Japonais ont bien fait l’étude en testant tout le monde. A la fin, cela nous a permis de comprendre que 35 à 50 % des malades sont asymptomatiques. C’est-à-dire qu’ils sont porteurs du virus mais n’ont aucun symptôme. Or, ils sont peut-être contaminants.
Selon « L’Est républicain », onze pensionnaires d’un Ephad du Doubs sont vraisemblablement morts du coronavirus. Mais ils ne seront pas testés. Cela veut dire que les statistiques des décès ne sont pas fiables, non plus ?
Probablement… Mais ce chiffre est tout de même beaucoup plus fiable que le nombre de personnes contaminées. Comme je le disais, on peut imaginer que dans certaines situations, comme dans les maisons de retraite, des personnes vont mourir sans que l’on sache qu’elles sont mortes du Covid-19 ou d’une autre pathologie. Mais encore une fois, cela nous permet d’adapter notre dispositif. Et de voir comment la situation évolue…
Vous êtes chef des urgences de l’hôpital Georges-Pompidou, à Paris. Expliquez-nous comment vous êtes organisés ?
Eh bien nous avons complètement réorganisé le service en déployant deux secteurs bien distincts qui ne se croisent pas. Le premier accueille les malades du coronavirus ou ceux susceptibles de l’être. Le second, les urgences classiques (infarctus, fractures…), qui ne manquent pas. Si l’on ne fait pas ça, le coronavirus fera plus de morts.
Un mouvement de solidarité se met en place autour des soignants. L’avez-vous remarqué également ?
Oui et il fait du bien. Ce matin, un boulanger nous a livré une caisse entière de chouquettes. Les équipes ont apprécié. Et puis, je reçois des coups de fil de nombreux professionnels de santé qui proposent leur aide spontanément. Nous sommes en train de les intégrer aux plannings. Par exemple, les chirurgiens dont les opérations non essentielles ont été reportées nous filent un sérieux coup de main.
Des voix s’élèvent pour que le confinement soit prolongé au-delà de deux semaines. Qu’en pensez-vous ?
Pour tout dire, je l’espère ! On voit bien que le confinement est mal respecté. Vous avez vu comme moi les images des familles qui continuent de se promener au parc. Il faut bien comprendre que le confinement nous permet de gagner du temps. On a un nombre limité de capacités d’accueil. Et on ne peut pas être débordés.
Un exemple ? Si 100 patients graves arrivent aux urgences de Pompidou aujourd’hui, je ne pourrai pas tous les sauver. Si ces 100 patients arrivent sur un mois, alors oui, nous pourrons tous les prendre en charge. Il faut imaginer une vague qui serait moins haute et plus longue. Il n’y a guère que le confinement pour étaler la vague. Donc, les gens doivent rester chez eux.