Coronavirus : L’épidémie est-elle vraiment la « plus grave crise sanitaire » connue par la France depuis un siècle ?
FAKE OFF•L'épidémie de coronavirus serait « la plus grave crise sanitaire qu’ait connue la France depuis un siècle » selon Emmanuel MacronAlexis Orsini
L'essentiel
- Ce jeudi, lors de son allocution sur l'épidémie de coronavirus, Emmanuel Macron a souligné la gravité de la situation en cours.
- « Le Covid-19 [...] est la plus grave crise sanitaire qu’ait connue la France depuis un siècle », a notamment affirmé le président de la République.
- Affirmation exagérée ou rappel historique pertinent ? 20 Minutes fait le point avec différents spécialistes.
«Le Covid-19 qui affecte tous les continents et frappe tous les pays européens, est la plus grave crise sanitaire qu’ait connue la France depuis un siècle ».
Dès les premières minutes de son allocution, ce jeudi soir, Emmanuel Macron a donné le ton des mesures annoncées dans la foulée : fermeture des établissements scolaires à partir de lundi, limitation des déplacements de personnes fragiles, recours préférable au télétravail…
Le président de la République a-t-il fait preuve, à cette occasion, d’une gravité exagérée ? Ou s’est-il au contraire livré à un rappel pertinent de la portée historique de la crise sanitaire en cours, à l’origine, à ce stade, de plus de 2.800 cas et de 61 décès en France ?
FAKE OFF
Pour Patrick Zylberman, professeur émérite d’histoire de la santé à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), « l’observation [d’Emmanuel Macron] est juste » : « C’est bien la pire crise sanitaire connue par la France depuis la grippe espagnole – ou plutôt la crise avec le point de départ sanitaire le plus important. »
Entre 1918 et 1919, l’épidémie de grippe espagnole avait provoqué entre 20 et 50 millions de morts, selon l’institut Pasteur – et entre 150.000 et 250.000 victimes en France.
« Toute la question tient à la définition qu’on donne à une "crise sanitaire" », souligne pour sa part Patrice Bourdelais, démographe et historien, directeur d’études émérite à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) : « Si on raisonne en termes de nombre de décès, c’est faux : la grippe asiatique de 1957 a fait 100.000 victimes en France, et une dizaine d’années plus tard, la grippe de Hong Kong en a fait 31.000 – tout en passant totalement inaperçue puisqu’on n’en trouve aucune mention dans la presse ni dans la mobilisation hospitalière de l’époque, et que ce n’est qu’en 2003 qu’on a découvert son nombre de morts ».
Toutefois, comme le souligne Guillaume Lachenal, professeur au Medialab de Sciences Po et historien de la médecine, « il existe toutes sortes de mesures pour exprimer ou évaluer la menace sanitaire : le nombre de morts brutes n’est pas forcément pertinent, et il est encore bien trop tôt pour évaluer l’épidémie en cours, d’autant qu’elle pourrait aussi avoir une répercussion plus globale sur le système de santé. »
« La crise sanitaire la plus grave depuis la grippe espagnole »
Il faudrait donc comprendre l’expression employée par le président de la République d’une manière plus extensive, comme le souligne Patrice Bourdelais : « Si on considère la crise sanitaire du point de vue de la construction sociale d’une épidémie – ce qui est probablement le sens à donner aux propos d’Emmanuel Macron vu son âge –, le coronavirus représente effectivement la crise sanitaire la plus grave depuis la grippe espagnole ».
« En la matière, c’est une épidémie sans précédent, il y a eu une mise en scène extraordinaire de la Chine pour faire la démonstration de son contrôle et de sa capacité à lutter contre une épidémie nouvelle. Avec les chaînes d’info en continu et les réseaux sociaux, ces images ont eu un impact considérable dans le monde, et notamment en France, où on a vu des gens s’équiper de masques en se basant sur le modèle chinois alors que ça ne fait pas du tout partie de nos habitudes. La construction sociale de l’épidémie est très forte et puissante, c’est sans précédent, au même titre que les points quotidiens du directeur général de la Santé sur le nombre de cas », poursuit le spécialiste.
De ce point de vue, les scandales sanitaires importants qui ont duré dans le temps – l’affaire du sang contaminé, notamment – ne peuvent donc pas être considérés comme une crise sanitaire. Quant à la canicule de 2003, régulièrement citée en exemple de crise récente, « elle a fait 15.000 morts, ce qui est considérable, mais c’était une crise hospitalière, une crise due à l’impréparation des hôpitaux plutôt qu’une crise sanitaire », nuance Patrick Zylberman.
Pour Guillaume Lachenal, la comparaison statistique avec les précédents sanitaires les plus graves n’a toutefois pas forcément de grand intérêt à ce stade. « Ce qui est important, c’est l’incertitude sur l’ampleur et la durée de l’épidémie. Il y a donc à la fois une menace réelle et incertaine, qui justifie le recours à cette expression de "crise", puisque selon son étymologie grecque, elle renvoie à la décision, à l’idée qu’il faut agir », conclut-il.