Inégalités : « On est à l’opposé de la société solidaire que prônait l’Abbé Pierre », estime Christophe Robert
« 20 MINUTES » AVEC...•Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre, analyse la politique sociale du gouvernement depuis le début du quinquennatPropos recueillis par Delphine Bancaud
L'essentiel
- Tous les vendredis, 20 Minutes propose à une personnalité de commenter un phénomène de société, dans son rendez-vous hebdomadaire « 20 Minutes avec… ».
- Alors que le rapport sur le mal-logement de la Fondation Abbé-Pierre sera dévoilé jeudi prochain, son délégué général, Christophe Robert, analyse la situation des plus précaires et revient sur la politique sociale du gouvernement.
- Pour lui, il y a urgence à ce que le gouvernement agisse en direction des 10 % les plus pauvres de notre pays.
C’est le dauphin de l’Abbé Pierre, et il est animé de la même fougue pour défendre la situation des plus démunis dans notre pays. A une semaine de la parution du rapport sur le mal-logement, Christophe Robert, le délégué général de la Fondation Abbé-Pierre, revient sur le creusement des inégalités en France et analyse la politique sociale du gouvernement depuis le début du quinquennat. Il réclame une inflexion sociale de la politique macronienne.
Dans quelques jours, vous allez dévoiler le rapport sur le mal-logement. La situation des mal logés a-t-elle empiré depuis l’an dernier ?
Nous souffrons d’un manque de données statistiques. Mais selon l’Insee, entre 2001 et 2012, le nombre de SDF a augmenté de 50 %. Et avec les nuits solidaires de comptages des personnes à la rue organisées par certaines villes, on sait que le phénomène a sensiblement augmenté. Autre indicateur : la première semaine de janvier, 37 % des personnes qui ont appelé le 115 ne se sont vues proposer aucune solution. Par ailleurs, le nombre de personnes contraintes par des dépenses excessives pour se loger a augmenté de 42 % entre 2006 et 2013, ce qui montre la tension forte sur le logement.
Selon le rapport d’Oxfam, en France, les inégalités sont reparties à la hausse depuis 2018. Comment expliquez-vous cette situation ?
Les inégalités se creusent et on assiste à une surconcentration insupportable des richesses détenues par une poignée de personnes. En France, 10 % des ménages les plus riches disposent de 50 % de la richesse du pays. Une situation qui tient pour une large part à l’augmentation de leur patrimoine immobilier.
La politique fiscale menée en France est-elle une des clefs de cette hausse des inégalités ?
Certains choix fiscaux depuis le début du quinquennat ont contribué à creuser les inégalités : la suppression de l’impôt sur la fortune et son remplacement par un impôt sur la fortune immobilière, un prélèvement forfaitaire unique qui a permis un plafonnement de l’impôt sur le capital… Les 10 % les plus riches ont capté le tiers des gains liés à ces réformes en 2018. Parallèlement, on assiste à une diminution des entrées fiscales qui réduit d’autant la capacité de mener des politiques sociales et de développer les services publics. Et on va encore assister à 10 milliards d’euros en moins dans les caisses publiques en raison de la suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % les plus aisés. On est à l’opposé de la société solidaire que prônait l’abbé Pierre.
Mais le gouvernement a pourtant mis en place des mesures sociales après la crise des « gilets jaunes »…
Il a tenté de corriger en partie le tir, en décidant l’augmentation de la prime d’activité, l’élargissement du chèque énergie, des baisses d’impôts… Mais l’ensemble des mesures de ces deux dernières années ont été peu profitables aux plus démunis : pour les 5 % les plus pauvres, elles représentent en moyenne 11 euros de pouvoir d’achat en plus en 2020, 1.000 euros pour une partie des classes moyennes, mais peuvent atteindre 23.000 euros pour les 0,1 % les plus riches. On a l’impression que le gouvernement estime désormais avoir fait son boulot en répondant aux besoins des classes moyennes inférieures. Mais il a oublié les plus pauvres. Il n’y a pas eu de revalorisation du RSA (Revenu de solidarité active) par exemple. L’Etat doit protéger les 10 % les plus pauvres, c’est indispensable.
Le système de redistribution de la France est-il devenu moins protecteur pour les plus pauvres ?
Aujourd’hui encore, la France possède l’un des meilleurs systèmes de protection sociale au monde. Il a fonctionné comme un rempart lors des crises économiques, ce qui a évité de faire basculer certaines personnes dans la grande pauvreté. Mais les orientations du gouvernement ne contribuent pas à le renforcer et surtout à réduire les inégalités.
Mais le modèle social français peut-il encore perdurer alors que la dette a dépassé 100 % du PIB en septembre ?
Oui, car ce sont purement des choix politiques. On ne dit pas que le gouvernement ne fait rien : il y a la stratégie pauvreté, des moyens supplémentaires dédiés à l’hébergement d’urgence… Mais il faut beaucoup plus d’ambitions. Et certaines mesures, comme l’encadrement des loyers qu’il faudrait renforcer, ne coûte rien.
Vous alertez régulièrement sur la situation des jeunes de moins de 25 ans. Leur situation a-t-elle empiré ?
Le taux de chômage des moins de 25 ans est de 20,8 %, le taux de pauvreté des 18-29 ans est de 19,7 % et un quart des SDF a entre 18 à 29 ans. Car tous les jeunes n’ont pas la chance de bénéficier de la solidarité familiale en cas de coup dur. Et les moins de 25 ans ne bénéficient pas du RSA. De plus, la réforme de l’assurance de chômage va toucher de plein fouet les jeunes qui ont un emploi précaire. De même que la réforme des APL (Aide personnalisée au logement) qui sera mise en œuvre en avril. On sait que le futur RUA (Revenu universel d’activité) devrait ouvrir un droit aux jeunes de moins de 25 ans à une prestation sociale. Mais à ce stade, on ne sait quelles catégories de jeunes seront concernées, ni le montant de cette aide et le RUA ne sera opérationnel en 2023. Les jeunes ne peuvent pas attendre cette date pour qu’on les aide.
Le gouvernement estime que la réforme des retraites va réduire les inégalités. Êtes-vous de cet avis ?
Les commerçants, agriculteurs et artisans, confrontés à des pensions très basses, devraient voir leur situation s’améliorer. Mais le niveau minimal de pension à 1.000 euros pour une personne ayant cotisé toute sa vie n’est pas suffisant. Il faut le mettre au niveau du smic net.
On se souvient des expressions d’Emmanuel Macron au début de son quinquennat : « Les gens qui ne sont rien », « le pognon de dingue des minima sociaux »… A-t-il changé de ton vis-à-vis des plus modestes ?
Oui, il semble y avoir eu une inflexion des discours. En tout cas, ses mots ont choqué. Les plus pauvres ont déjà parfois le sentiment d’être pointés du doigt, certains peuvent avoir honte de devoir aller aux Restos du cœur, d’habiter un logement pourri, de toucher le RSA… Si en plus, le discours du président de la République laisse entendre que la situation qu’ils vivent, ils l’ont un peu choisie et qu’ils pourraient facilement la changer, c’est très violent. Ça fait fi de chaque histoire individuelle.
Le PS étant peu audible dans le débat public actuellement, n’avez-vous pas l’impression que les porte-paroles des associations caritatives sont devenus les seules voix à porter un discours social ?
La question de la lutte contre la pauvreté et les inégalités ne doit pas être l’apanage d’un parti. C’est l’affaire de tout le monde. Il y a en effet trop peu de discours politiques sur les inégalités, alors que la politique, c’est aussi une vision de la société. Et cette question a été omniprésente lors du grand débat national.
Qu’attendez-vous du gouvernement d’ici à la fin du quinquennat ?
Avec 54 autres organisations associatives, syndicales, mutualistes, nous avons produit un pacte du pouvoir de vivre. Nous avons des propositions : un impôt plus progressif, taxer plus fortement les dividendes, encadrer les loyers dans les zones tendues, revenir sur les coupes opérées sur les APL, mettre fin à des dérogations qui bénéficient aux revenus du capital pour être en capacité d’agir davantage pour une société plus sociale et écologique… Nous espérons que ces idées seront suivies. Il faut vraiment une inflexion sociale de la part du gouvernement.