SOCIALPourquoi la grève nous transforme-t-elle en sauvages dans les transports ?

Bousculade dans le métro, chauffards en scooter, Vélib' cadenassés… Pourquoi la grève nous transforme en sauvages

SOCIALDepuis le début des grèves contre la réforme des retraites, le 5 décembre, les incivilités entre Franciliens augmentent sur la route, dans le métro et sur les trottoirs
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

L'essentiel

  • Les comportements déplacés ont tendance à se multiplier au fil des jours, faisant de Paris une jungle aux heures de pointe.
  • On retrouve le même type d’attitudes lors des évacuations d’urgence ou lors de l’ouverture des soldes, car cela crée des situations de concurrence entre les individus.
  • Et plus les auteurs d’incivilités sont nombreux, plus ils peuvent avoir un effet d’entraînement sur les autres.

Un voyageur qui pousse les autres dans le métro pour être sûr de monter dedans. Un autre qui bloque les passagers qui souhaitent descendre. Des cyclistes qui roulent sur les trottoirs bondés pour gagner du temps. Un véhicule qui accélère devant un passage piéton, quitte à causer un accident. Un usager des trottinettes en libre-service qui en garde une chez lui la nuit pour être sûr d’en avoir une le lendemain. Des Vélib’ attachés à la borne avec des cadenas. Des personnes qui se mettent sur la chaussée pour arrêter un bus. Des scootéristes qui slaloment sans vergogne entre les voitures. Des passagers de bus qui se tapent à coups de sac pour une place.

Ces scènes sont récurrentes dans la capitale depuis le début des grèves contre la réforme des retraites. Et elles ont même tendance à se multiplier au fil des jours, faisant de Paris une jungle aux heures de pointe. D’ailleurs, les accidents de deux-roues (scooters, trottinettes et vélos) ont augmenté de 40 % depuis le début de la grève, a indiqué mardi la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris.

« Ces situations créent une forme de concurrence entre les personnes »

Il faut dire qu’après deux semaines de grèves, les usagers commencent à fatiguer et ont du mal à tenir leurs nerfs. Car si certains d’entre eux ont pu télétravailler les premiers jours, ils ont parfois dû se rendre coûte que coûte à leur travail ensuite. Mais avec une dizaine de lignes de métros fermées, environ 500 kilomètres de bouchons autour de la capitale le matin, sans oublier la pluie certains jours, les déplacements quotidiens ressemblent à de vrais parcours du combattant. Le manque de sommeil se fait ressentir, le retard dans le travail fini par s’accumuler et la promiscuité contrainte est vécue comme un calvaire pour beaucoup de citadins.

La tension extrême qui règne parfois dans les rues et les sous-sols de Paris s’explique aisément, selon Mehdi Moussaïd, chercheur en sciences cognitives à l’Institut Max Planck, en Allemagne, et spécialiste du comportement des foules. « Quand il existe un déséquilibre énorme entre l’offre et la demande de transports, cela finit par produire ce genre d’incivilités. On retrouve le même type de comportements lors des évacuations d’urgence, quand il n’existe qu’une issue de secours : certaines personnes se précipitent ou bousculent les autres pour passer. Ou pendant le Black Friday , quand des consommateurs se jettent sur un produit en solde. Ces situations créent une forme de concurrence entre les personnes », observe-t-il.

« Dans ce genre de situation, les penchants naturels sont exacerbés »

Mais comment expliquer que lors de ces périodes tendues, certains d’entre nous continuent à respecter les règles de la bienséance, alors que d’autres se transforment en guerriers sans foi ni loi ? « Dans ce genre de situation, les penchants naturels sont exacerbés. Si une personne est de nature altruiste, elle aura tendance à l’être davantage en cas de crise. Et si elle a un penchant individualiste, celui-ci va s’exprimer plus fortement », explique Mehdi Moussaïd.

Et plus les auteurs d’incivilités sont nombreux, plus ils peuvent avoir un effet d’entraînement sur les autres. « Une des caractéristiques de la foule est qu’elle amplifie les mouvements partagés par beaucoup de personnes. Dans un concert, par exemple, le fait qu’un groupe important de spectateurs soit enthousiaste va gérer une euphorie collective. Si dans les transports parisiens, plusieurs personnes sont agressives, elles vont transmettre ce comportement aux autres. En revanche, si un individu bouscule des passagers alors que la foule est calme, il finira par rentrer dans le rang », indique le chercheur.

Pour contrer ce type de comportements, « la seule solution est que les entreprises ou les organismes structurent la demande », explique Mehdi Moussaïd. C’est le cas lorsque la RATP filtre les voyageurs, afin que seulement une partie d’entre eux accèdent au quai du métro. Ou qu’afin d’éviter la cohue pour accéder à un événement pour lequel les places sont rares, les billets sont prévendus sur Internet. Une gestion de la pénurie qui, à défaut d’être réjouissante, permet au moins de rétablir des relations humaines civilisées !