Les catholiques se sentent-ils dépossédés de Noël ?
NOEL POUR LES NULS (8/15)•Catalogue de jouets, apologie du consumérisme… Comment les catholiques vivent-ils la marchandisation et la sécularisation de « leur » fête religieuse ?Jean-Loup Delmas
L'essentiel
- La rédaction de « 20 Minutes » vous accompagne pendant les fêtes de fin d’année. Grandes questions, petites interrogations, vrais tracas ? On vous répond.
- Si tout le monde attend Noël avec impatience, que pensent les catholiques de cette réappropriation populaire de cette fête par essence religieuse ?
- Entre dépossession et fierté d’universalité, Noël garde une place à part.
Dans notre enfance, notre sœur a toujours eu l’honneur suprême. Qu’importe les victoires aux billes, rien à faire d’avoir battu la ligue Pokémon. Le 24 décembre, invariablement, après la messe de minuit « obligatoire », c’est elle – cadette de la famille oblige – qui avait le privilège de sortir le santon du petit Jésus et de le déposer au centre de la crèche, sous les regards de tous les autres enfants jaloux.
Depuis, nos grands-parents pieux ne sont plus là pour nous imposer ces traditions catholiques, et les santons, les chants à la messe, et la naissance du Christ semblent bien lointaines. On est dorénavant plus souvent en contact des catalogues de Noël, promotions sur les jouets et autres bons plans « Top 10 des destinations pour passer décembre au chaud ». Disons-le, Noël est devenu pour nous comme pour beaucoup d’autres Français une fête vidée de toute empreinte catholique, pendant laquelle on se soucie davantage de savoir si la dinde sera bonne que de la naissance du divin Enfant.
Désacralisation
Quand on parle de notre ressenti à Jean-Paul Willaime, sociologue des religions, ce dernier nuance. Lui ne parlerait pas d’une fête laïque mais d’une « fête sécularisée. Dans le sens où des significations et pratiques séculières – la fête familiale, l’échange de cadeaux, le réveillon, le père Noël, les marchés de Noël – ont supplanté les significations et pratiques religieuses de cette fête ».
Partielle ou totale, cette désacralisation n’est évidemment pas toujours du goût des chrétiens. Au point que certains se sentent dépossédés de « leur » fête. C’est le cas de Raphaël, 41 ans et un nombre incalculable de dimanches à l’Eglise au compteur. Quand on lui parle du 24 décembre, le jugement (divin ?) ne tarde pas à tomber : « Noël n’est plus pieux comme avant, pollué par tout le reste. Ce n’est même plus une fête pendant laquelle on veut voir sa famille mais où on veut recevoir les cadeaux qu’elle nous fait. On offre en se demandant ce qu’on va avoir en échange. »
Infantilisation de la sainteté
Pas vraiment les valeurs chrétiennes de partage et de don, à ses yeux. Ne se laissant pas abattre, il a fait migrer toute sa famille sur le Calendrier. C’est désormais lors de L’Assomption – le 15 août, pour ceux qui auraient séché les cours de catéchisme – que les siens se rassemblent et partagent un moment de piété en famille : « C’est une date bien moins polluée par l’extérieur. Les gens se contentent de partir en week-end prolongés mais ne commentent pas ou ne dévient pas le message originel. Ça change de décembre. »
Car Noël n’est pas la seule fête à subir le courroux de Raphaël. La Toussaint avec Halloween, Pâques et ses œufs en chocolat… A chaque fois, le constat est le même pour ce chrétien originaire du sud : des fêtes infantilisées et infantilisantes, où on place la charrue avant le Dieu : « Aujourd’hui, à qui s’adressent les dates catholiques en France ? Les enfants, avec du chocolat, des bonbons ou des cadeaux. Les fêtes sont devenues immatures et on perd leur sens et leur portée, non seulement religieuses mais plus encore spirituelles. »
« Noël est certes désacralisé, mais pas défiguré »
Pour d’autres chrétiens, Halloween est au contraire un moyen de relativiser. A Noël au moins, il n’y a pas d’enfants en costume de monstres ou de moqueries sur la mort, estime Bastien, et c’est déjà ça, pour lui. Ce croyant de 33 ans travaillant dans la banque, positive : « Noël, même chez les athées, garde ses valeurs initiales – l’entraide, l’amour à ses proches et la paix. » Il nous fait presque le coup du téléfilm sur France 2 au moment d’évoquer la possibilité de fêter le 24 décembre avec des voisins de paliers d’autres confessions : « Tout le monde se retrouve dans le message que véhicule cette fête. Noël est certes désacralisé, mais pas défiguré. »
Pour cet employé de banque, cette banalisation de Noël dans toutes les couches de la société est même une fierté : « Hanouka, c’est aux juifs, l’Aïd aux musulmans, Noël c’est pour tout le monde. Les religions se vantent d’avoir un message universel, non ? Nous, on l’a. »
Fête à la fois séculière et religieuse
Même son de cloche (vous l’avez ?) aux oreilles de l’abbé Nicolas Joli. Pour le religieux, « la naissance de Jésus et son message concernent toute l’humanité. Ce n’est pas des valeurs sectaires ou qui ne s’appliquent qu’aux chrétiens. » Passé ce discours un peu litanique, il admet : « Bien sûr, on aimerait que le message soit entendu dans son ensemble et sa sainteté. Mais que les valeurs subsistent, c’est déjà beaucoup. »
S’il nous accepte donc volontiers à Noël, l’abbé ne partage pas notre constat d’une désacralisation massive pour autant. Il le rappelle : tout le monde sait ce qu’on fête initialement à Noël, la naissance de Jésus. C’est loin d’être le cas pour Pâques, l’Assomption ou autres, constate-t-il. Au point qu’on s’est interrogé : comment Noël a-t-il résisté là où les autres jours catholiques sont devenus presque anonymes ? Element d’explication avec Jean-Paul Willaime : « C’est son caractère ambivalent de fête à la fois séculière et religieuse qui a contribué à son succès. La figure de l’enfant, la lumière dans la nuit de l’hiver, les contes de Noël, la trêve de paix qu’il représente, le folklore du père Noël sont des éléments populaires. »
« On ne se sent jamais autant compris en tant que catholiques qu’à Noël »
Et puis les catholiques, c’est comme la CGT en 2019 : ils s’affichent en masse en cette fin d’année. « Comme il y a des juifs de Kippour et des musulmans de l’Aïd qui ne manifestent leur appartenance à leur religion qu’à l’occasion d’une fête importante dans leur tradition, il y a aussi des catholiques de la messe de minuit », constate Jean Paul Willaime. Comprendre : des personnes ordinairement non-pratiquantes qui, le temps d’une veillée de décembre « continuent néanmoins de manifester un lien au catholicisme. » Nicolas Joli ne dit pas autre chose : les églises ne sont jamais aussi pleines que le 24 décembre, et tout au long de décembre, on peut remarquer chez les uns et les autres de nombreuses crèches ou signes religieux.
Même Raphaël est forcé de l’admettre : « On ne sent jamais aussi nombreux et compris en tant que catholiques qu’à Noël. Cela reste une démonstration de force des racines chrétiennes de la France. »
Une trêve pour tout le monde
Du coup, Noël, toujours aux catholiques ou non ? Peut-être la faute à tous ses bons sentiments précédents, mais on se laisserait bien aller à une nouvelle réponse digne d’un téléfilm de saison : Noël peut très bien appartenir totalement aux catholiques, mais aussi aux autres. Elisabeth Marshall, directrice déléguée du magazine La Vie, abonde en ce sens : « Noël est un moment sacré pour tout le monde. C’est bien souvent une pause dans le travail, une rupture réjouissante dans un quotidien général, une sorte de trêve dans l’année. Le message catholique irrigue la société entière : on se tourne plus vers les autres, les associations font le plein et l’entraide se multiplie. Tous et toutes nous nous interrogerons sur comment trouver cette fameuse joie de Noël, et pourquoi nous n’y sommes pas encore. »
Une introspection qui ne mène pas forcément au petit Jésus. Mais pour elle, pas de fatalité… ni même de nouveauté dans ce débat : « C’est le jeu de toutes époques de craindre que le matérialisme dénature tout. Je trouve qu’au contraire, il y a aujourd’hui une recherche de simplicité. Noël bénéficie du message écologique global pour chasser le consumérisme. Il y a un vrai retour de la spiritualité. »
Et même plus selon Jean-Paul Willaime, pour qui « la dimension religieuse n’est jamais bien loin, avec la joie de Noël, la symbolique de la crèche, le fait que Noël soit la fête du don et de la lumière. Le religieux est plus enfoui qu’il n’a disparu. » Comme le Petit Jésus de notre crèche familiale, probablement au fond d’un placard.