REPORTAGEComment prendre soin de sa voix quand on est enseignant ?

Réveil vocal, bonne alimentation… Comment prendre soin de sa voix quand on est enseignant ?

REPORTAGELa Mutuelle générale de l’Éducation nationale organisait cette semaine une journée de la voix pour sensibiliser les enseignants à prendre soin de leur outil de travail
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Comment préserver sa voix quand on enseigne ? C’est une question qui intéresse la mutuelle générale de l’Education nationale.
  • Elle organisait mercredi dernier une journée de sensibilisation pour aider ces professionnels.
  • Chanteur, coach vocal, médecin et orthophoniste se sont succédé pour expliquer comment fonctionne la voix, et comment en prendre soin.

«Un peu de Mozart pour faire retomber les tensions actuelles », sourit Gaspard Brécourt. Le pianiste et chef d’orchestre ouvre cette journée de la voix, ce mercredi, une heure après les annonces d’Edouard Philippe sur la réforme des retraites. La Mutuelle générale de l'Éducation nationale (Paris, 15e) propose à une assemblée d’environ 200 enseignants de mieux comprendre cet outil méconnu et indispensable : la voix.

Un programme lancé en 2009 et constitué de cinq journées par an de sensibilisation, à Paris et en régions. L’occasion pour les enseignants de se glisser dans les habits de l’élève et de découvrir comment prendre soin de leur voix en compagnie de médecins, de coachs vocaux et de musiciens.

« Pour apprendre à se prémunir des pathologies vocales »

Corinne Loie, artiste, orthophoniste et chargée de prévention à la MGEN, a conçu ce programme et fait le pari d’une rencontre entre médecine et art. L’objectif ? « Que les enseignants, qui sont des professionnels de la voix, apprennent à se prémunir des pathologies vocales qui émergent du forçage et de la fatigue », assure-t-elle avant de lancer les ateliers.

En effet, 20 % de la population française est concernée par ces maladies… et 40 % des enseignants. Beaucoup d’entre eux s’époumonent pour tenter de se faire entendre devant une classe dissipée. Et quand un professeur se retrouve aphone, se faire respecter, transmettre et enseigner s’annonce encore plus compliqué.

Ouverture de cette journée de la voix à la MGEN.
Ouverture de cette journée de la voix à la MGEN.  - Hervé Thouroude

Vocalises et réveil corporel

Dans le grand amphithéâtre qui se remplit et où traînent quelques trottinettes, Christine Clicquot de Mentque, coach vocal, commence par proposer à chacun de se lever. « On a été un peu ratatinés et stressés dans les transports, alors on va commencer par s’étirer, se faire bayer, tourner les épaules en respirant profondément, se tapoter le corps. » Une mise en voix qui permet de réveiller le corps tout entier. Avant que toute l’assemblée se mette à chanter des « miam-miam-miam-miam » en glissant vers les notes aiguës. « On laisse entrer l’air dans un sourire contenté », reprend la coach vocale en se mettant au piano, avant d’inviter les « élèves » à faire des vocalises.

« Le matin, on n’a pas que ses cheveux et ses dents à brosser, c’est important de se redresser, de réveiller sa voix, assure Lise Crevier-Buchman, oto-rhino-laryngologiste (ORL), phoniatre et chercheuse. Il ne faut pas que le premier son de l’enseignant se passe dans l’arène de la classe. Vous ne voyez jamais un sportif faire ça ! Ce réveil vocal, c’est un réflexe à mettre en place et cela ne prend pas trois heures, rassure la médecin. Tout le problème, c’est d’y penser chaque matin jusqu’à ce que cela devienne un automatisme. »

Un muscle à entraîner comme un autre

Place ensuite à Jean Abitbol. Dans un topo à vitesse grand V, l’ORL et phoniatre explique d’abord comment fonctionnent les divers organes qui agissent pour sortir un son. « L’énergie, c’est le souffle, la vibration, les cordes vocales et la résonance c’est le nez. » Convoquant Aznavour (l’un de ses patients), Charlie Chaplin et sa célèbre imitation d’Hitler, la voix de castrat de Farinelli et des images en fibroscopie du larynx, il explique comment prendre soin de cet organe méconnu et précieux. « La voix garde les cicatrices de notre vie, souligne le médecin. C’est un muscle comme le biceps, donc il peut se déchirer. Si vous criez trop fort, ne vous étonnez pas d’être aphone ensuite. Et ce qui est important, c’est la lubrification. »

Pour préserver ce muscle, il faut donc faire attention à son alimentation. En effet, les reflux gastriques entraînent une sécheresse et risquent de provoquer des nodules sur les cordes vocales. « C’est comme quand vous tapez dans vos mains, mais qu’il y a quelque chose au milieu. S’il y a des nodules, la voix n’est pas belle. » Attention à l’ouïe également, prévient le médecin, « l’écoute est capitale, si je ne m’entends plus, je force sur ma voix ». Justement, les enseignants peuvent ouvrir grands leurs écoutilles quand monte sur la scène le ténor Cyrille Dubois pour interpréter un passage des Pêcheurs de perles de Bizet.

Le ténor Cyrielle Dubois a enchangé l'assemblée avec Les
Le ténor Cyrielle Dubois a enchangé l'assemblée avec Les  - Hervé Thouroude

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« J’ignorais que la voix était liée à l’alimentation, au sommeil, au cycle menstruel »

A la pause, les enseignants croisés semblent intéressés. « Je mesure l’importance de ma voix, car je sens qu’elle commence à dérailler, confie ainsi Karina, enseignante de SVT depuis 2004. Je ne le voyais pas comme un muscle à entraîner. Et j’ignorais totalement qu’elle était liée à l’alimentation, au sommeil, au cycle menstruel… C’est vraiment une prise de conscience, il faut prendre soin de ce capital. » Au point qu’elle envisage de prendre quelques cours de chant pour mieux poser sa voix, mieux respirer… Véronique, qui enseigne au lycée la physique depuis trente-cinq ans, a été particulièrement intéressée par les exercices du début. « J’ai été aphone récemment, et je suis ouverte à des propositions pour m’économiser. J’ai conscience de l’importance de cette préparation le matin. Après, comment caser cela dans l’emploi du temps ? C’est une autre question… »

Comment captiver des élèves fatigués ou happés par leur téléphone ? La rencontre se poursuit par un exercice de lecture à voix haute pilotée par Patrick Abejean, formateur en lecture à voix haute, qui tente d’aider deux enseignantes à respirer, respecter la ponctuation sans s’époumoner ou se retrouver à bout de souffle. « Quand il y a trop de brouhaha dans la classe, il vaut mieux déranger le rythme en parlant moins fort ou en tapant dans les mains que d’augmenter son volume », conseille Lise Crevier -Buchman. Si cette ORL et phoniatre salue l’initiative de la MGEN, elle estime « que c’est peut-être un peu tard. On apprend à un tennisman comment tenir sa raquette, à un informaticien à taper à l’ordinateur, mais pas à l’enseignant à utiliser sa voix. On devrait enseigner aux enfants dès la maternelle à bien se placer, bien respirer pour chanter et parler ».