Oui, un maire a bien exclu un enfant de la cantine scolaire parce qu’il refuse de manger de la viande
FAKE OFF•Sur Facebook, des parents accusent un maire d’avoir exclu leur enfant de huit ans de la cantine au motif qu’il refuse de manger de la viandeAlexis Orsini
L'essentiel
- Refus de manger de la viande : tel est le motif qui aurait été invoqué par le maire d’une commune de l’Isère pour exclure un élève de CE2 de la cantine de l’établissement, après les vacances de Noël.
- Les parents de l’enfant ont partagé le courrier signé du maire sur Facebook, suscitant une vive indignation des internautes.
- 20 Minutes a pu confirmer son authenticité et revient sur les raisons avancées par le maire pour justifier sa décision.
«Votre enfant est actuellement inscrit au restaurant scolaire de Pont-de-Chéruy et nous avons constaté depuis la rentrée scolaire de septembre 2019 qu’il refusait de manger de la viande lorsque celle-ci était inscrite au menu. […] En conséquence, je vous informe qu’il ne sera plus accepté au sein du service de restauration scolaire après les vacances de Noël. »
La teneur du courrier a de quoi surprendre. Et elle indigne de nombreux internautes, comme le montrent les plus de 19.000 partages Facebook enregistrés en seulement deux jours, depuis que les parents de l’enfant de CE2 ont partagé cette lettre, pour dénoncer « l’injustice » subie par leur fils de huit ans.
Dans ce texte, le maire (divers droite) de la commune de l’Isère, Alain Tuduri, mentionne les différents échanges entre les parents de l’enfant et les agents de la mairie, en affirmant notamment : « Il vous a été rappelé l’impossibilité pour la commune de ne pas servir de viande à votre enfant. […] Je ne peux que regretter la situation dans laquelle vous vous trouvez mais, en maintenant votre refus, vous exposez votre enfant à une exclusion de ce service. » L’élu y évoque en outre le rôle joué par la cantine « dans la découverte du goût, l’approche de nouvelles saveurs » ou encore « le lien social et de convivialité qu’il génère et que nous nous attachons à maintenir ».
FAKE OFF
Contacté par 20 Minutes, Mohamed Djerbi, l’avocat de la famille indique que le courrier, en date du 15 novembre, leur a été remis en mains propres cette semaine. Ce que confirme Alain Tuduri à 20 Minutes : « Oui, ce courrier à mon nom est authentique et leur a bien été remis par des policiers municipaux car ils n’avaient pas réceptionné le courrier recommandé avec accusé de réception envoyé précédemment. »
Pour Mohammed Djerbi, la décision d’exclusion de la cantine n’est pas seulement illégale, elle est également aberrante : « Le motif invoqué par la mairie est qu’elle aurait “constaté” que l’enfant ne mangeait pas de viande, ce qui paraît étonnant, on l’imagine mal appeler les nombreux parents dont les enfants ne mangent pas de légumes. D’autant plus qu’à aucun moment la famille n’a demandé de plat de substitution à la mairie, c’est la mairie qui a sollicité des explications aux parents pour savoir pourquoi leur enfant ne mangeait pas de viande, et ils ont répondu que c’était pour raison personnelle ».
Alain Tuduri – au cœur d’un feuilleton judiciaire, notamment en raison des accusations de blocage de dossiers d’acheteurs aux noms à consonance maghrébine qui souhaitaient s’installer sur sa commune – reconnaît pour sa part ouvertement se baser sur sa propre interprétation du refus de l’enfant pour justifier sa décision.
« Je doute qu’il soit végétarien »
« Le personnel de la cantine a remarqué qu’il ne mangeait pas de viande, mais les parents ne nous ont jamais dit qu’il était végétarien donc je doute qu’il le soit. Il ne mange pas de viande à la cantine ni chez lui, je trouve ça très particulier, il n’a aucun certificat médical ou autre, et le médecin de la PMI [protection maternelle et infantile] nous a dit qu’il fallait encourager les enfants à goûter de tout. Pour moi, le refus de manger de la viande est un signe religieux clair, et je ne souhaite pas que la religion rentre dans les affaires scolaires de Pont-de-Chéruy », affirme l’élu.
Et ce, alors que « ses parents n’ont jamais indiqué le moindre motif religieux », comme le confirme Mohammed Djerbi, déplorant que le maire crée lui-même la polémique sur la base d’une interprétation personnelle. Alain Tuduri reconnaît toutefois qu’« il n’y a pas eu de demande de la famille pour que l’enfant mange un menu de substitution » mais l’évocation d’une solution qui consisterait à ce « qu’il amène son propre repas, ce qui est exclu pour des raisons d’hygiène et parce que chaque enfant se mettrait à amener son plat ».
Dans son rapport de juin 2019 sur l’accès à la cantine scolaire, le Défenseur des droits notait pour sa part que « le cadre actuellement applicable aux [projets d’accueil individualisés] est strictement réservé aux enfants souffrant de troubles de santé et qu’il ne peut être utilisé pour satisfaire des choix personnels d’alimentation ».
« Trois semaines pour trouver la formule adaptée »
Dans le même rapport, le Défenseur des droits rappelle en outre l’article L. 131-13 du Code de l’éducation, selon lequel, dans le cadre de la restauration scolaire, il « ne peut être établi aucune discrimination selon [la] situation [des élèves] ou celle de leur famille ». Ou encore l’article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 : « Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, […] de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à […] une religion déterminée, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable ».
« On ne peut pas contraindre un enfant à manger de la viande s’il n’aime pas ça. C’est pour ça que je vais mettre la mairie en demeure de s’excuser pour cette erreur grossière et d’annuler cette décision. Si elle refuse, je saisirai le tribunal administratif pour obtenir l’annulation », explique Mohamed Djerbi.
Pour sa part, Alain Tuduri, qui déplore les appels insultants reçus à la mairie depuis la médiatisation de l’affaire, soutient : « Les parents reçoivent les menus trois semaines à l’avance, s’ils ne veulent pas que l’enfant mange de la viande, il suffit de ne pas le mettre à la cantine ce jour-là. L’enfant sera exclu à la reprise, en janvier, si on ne trouve pas de solution intelligente d’ici là, je ne suis fermé à rien et nous avons trois semaines pour trouver la formule adaptée pour les deux parties. »