SOCIETE« Invisibles », les prostituées n’ont pas disparu de Bretagne pour autant

Bretagne : « Invisibles », les prostituées n’ont pas disparu pour autant

SOCIETED’après un premier diagnostic mené par le réseau Le Nid, environ 2.000 personnes se prostitueraient en Bretagne
Camille Allain

Camille Allain

L'essentiel

  • La Bretagne n’est pas épargnée par la prostitution, d’après une enquête menée par l’Amicale du Nid.
  • L’association a recensé plus de 600 personnes susceptibles de se prostituer dans la région, et plus de 1.200 annonces en ligne proposant du sexe tarifé.
  • La pratique est pourtant peu visible dans la région, où les prostituées exercent plutôt dans des hôtels, des appartements loués ou des bars à hôtesses.

«Cela fait dix ans que je suis à Lorient. Et je n’ai pas vu une prostituée dans la rue. C’est terminé cette époque ». La capitaine de police Céline Touati confirme ce que tout le monde sait. En Bretagne, la prostitution ne se voit pas. Si certaines rues de Brest ou Rennes ont pu abriter des travailleuses du sexe par le passé, cela fait des dizaines d’années qu’elles ont quitté les trottoirs. « Aujourd’hui, tout se passe par Internet », assure l’enquêtrice.

Pour tenter de mieux cerner le système, l’Amicale du Nid a souhaité réaliser un premier diagnostic de la situation bretonne, dévoilé mardi à l’occasion d’un colloque régional. Un travail minutieux mené de mars 2018 à octobre 2019 qui permet de dresser un premier tableau du phénomène dans la région.

Environ 2.000 personnes concernées dans la région

D’après l’association, 660 personnes seraient en situation de prostitution probable ou avérée. Un chiffre auquel il faut ajouter quelque 1.200 personnes utilisant des sites Internet pour poster leurs annonces. « Ce ne sont que des estimations mais elles montrent que la prostitution existe en Bretagne, même si elle est peu visible », estime Lucie Gil, qui a mené l’enquête pour l’Amicale du Nid. 87 % sont des femmes, 11 % des hommes et 2 % des personnes transidentitaires.

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Contrairement à Bordeaux, Nantes ou Paris, Rennes se distingue par sa « discrétion ». Mais si le phénomène est caché, il est néanmoins bien présent dans la capitale bretonne. « Ça se passe dans des hôtels ou des appartements loués pour l’occasion, les contacts sont pris par Internet. C’est pareil partout. Les clients préfèrent être discrets », décrit Hélène de Rugy, la déléguée régionale de l’Amicale du Nid. La métropole rennaise concentrerait à elle seule un tiers de la prostitution bretonne, avec six ou sept « bars à hôtesses » surveillés de près par les autorités.

« Des enquêtes longues et complexes »

Peu sollicités pour ces faits, les policiers et gendarmes concentrent généralement leurs enquêtes sur les réseaux de proxénétisme. « Sur la trentaine de dossiers que nous traitons chaque année, seuls un ou deux sont liés à la prostitution. Ce sont des enquêtes longues et complexes car nous avons affaire à des réseaux criminels organisés », explique Pascal Bougy, avocat général et responsable de la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) qui lutte contre le crime organisé. Ces enquêtes ont permis de faire tomber un groupe arménien piloté par la mafia russe qui détroussait les prostituées et les forçait à travailler. Ou encore un réseau chinois très mobile habitué à s’arrêter une semaine ici et là, avant de décamper. « Les rendez-vous étaient pris par des étudiantes chinoises basées à Paris et qui préparaient le planning des femmes à la semaine. Un appartement était loué pour la semaine et les clients défilaient », rapporte le magistrat.

D’après ce diagnostic, la Bretagne se distinguerait pourtant par une moindre présence des femmes étrangères. « Elles ne représentent que la moitié des prostituées, là où le chiffre peut monter à 90 % en Ile-de-France. Peut-être que l’on a aussi plus de mal à les identifier », avance Lucie Gil. Maintenant que le diagnostic est posé, les associations d’accompagnement espèrent une meilleure prise en charge des prostituées, afin de mieux les aider à quitter le milieu. « Nous avons besoin de former les gens afin qu’ils sachent mieux détecter les situations », résume Gaëlle Abilly.

La déléguée régionale aux droits des femmes pense en premier lieu aux policiers et gendarmes, pas toujours à la pointe de l’accompagnement. « Lundi, une femme qui venait déposer plainte pour traite a été mise à la porte du commissariat de Brest. On lui a dit d’aller voir la police judiciaire et on lui a fermé la porte. Ce n’est pas normal », estime Hélène de Rugy. Interrogée, le capitaine Touati assure que « toutes les plaintes doivent être reçues » et que d’importantes formations ont été distillées dans les rangs des policiers.