Évacuation des migrants à la Chapelle: L’objectif « zéro retour » laisse la mairie et les associations sceptiques
MIGRANTS•Après le démantèlement de deux camps de migrants ce jeudi matin près de la porte de la Chapelle, le préfet de police a annoncé une série de mesures pour empêcher les installations sauvagesCaroline Politi
L'essentiel
- Selon la préfecture de police de Paris, 1.611 personnes ont été évacuées des campements de la Porte de la Chapelle et de Saint-Denis.
- Il s'agit de la 59e opération de mise à l'abri depuis l'été 2015.
- Le préfet a affiché sa volonté que cette opération soit la dernière en mettant en place un dispositif spécifique.
L’opération a commencé avant les premières lueurs du jour. Ce jeudi, vers 6 heures du matin, quelque 600 policiers se sont déployés aux abords de la Porte de la Chapelle et de l’Avenue du Président Wilson à Saint-Denis pour démanteler deux camps de migrants. Au total, selon le décompte de la préfecture de police, un peu plus de 1.600 personnes, dont près de 300 familles, ont été prises en charge par les services de l’État et redirigées vers une quinzaine de gymnases en Ile-de-France afin que leur situation soit étudiée. Une nouvelle opération est prévue dans les semaines à venir près de la porte d’Aubervilliers pour évacuer le dernier campement parisien dans lequel vivent – ou survivent – près de 1.700 migrants.
Si cette opération de mise à l’abri est la 59e depuis l’été 2015, le préfet de police de Paris, Didier Lallement, met en avant un changement de philosophie. « Il faut changer de braquet », a-t-il déclaré lors d’un point presse improvisé. « Jusque-là, on avait des opérations de mise à l’abri de 200, 300 personnes, mais on ne vidait jamais les campements et ils revenaient. Avec cette opération, on a un objectif de zéro retour. »
Pour ce faire, la préfecture a annoncé la mise en place d’un dispositif spécifique : les forces mobiles seront renforcées afin de maintenir « 24h/24 » une présence policière dans le secteur et ainsi dissuader de toute réinstallation et mener des contrôles. La préfecture compte également s’appuyer sur des caméras tactiques déjà installées sur certains points stratégiques. « Les images seront envoyées directement en salle de contrôle pour être analysées. Au moindre doute, on enverra une équipe sur place, précise une source policière. L’objectif c’est d’être extrêmement mobile. »
« Où vont-ils aller ? »
Si, à la mairie de Paris, on se félicite de cette opération de mise à l’abri réclamée depuis de longs mois, on reste sceptique sur la volonté affichée d’un « zéro retour ». « C’est la première grande opération du préfet Lallement, nous, on en a déjà vécu 58, déplore Dominique Versini, adjointe en charge des solidarités. A chaque fois, on nous dit que c’est la dernière. Jusqu’à la suivante. » Selon l’élue, une telle ambition doit avant tout s’accompagner d’une politique d’accueil forte, avec notamment la mise en place de centres humanitaires le long des routes migratoires. « La présence policière ne permet pas d’arrêter les flux migratoires, confirme Pierre Henry, président de France Terre d’Asile. Tant qu’on ne traitera pas le problème de l’accueil des migrants à l’échelle nationale, des camps de fortune se formeront toujours. »
A la mairie, on craint également que la stratégie de la préfecture ne repousse le problème vers les arrondissements ou les communes alentours. « Des migrants arrivent chaque jour en Ile-de-France, où vont-ils aller ?, interroge Dominique Versini. On peut les empêcher de s’implanter à un endroit bien précis mais ils iront à côté. Si ce n’est pas à la Chapelle, ce sera ailleurs. » Si à la préfecture, on assure que le dispositif, pensé pour être souple, permettra de s’adapter si la situation évolue, des sources policières reconnaissent que l’hypothèse d’un déplacement des camps illégaux est plausible.
Le cas des « dublinés »
D’autant que le préfet d’Ile-de-France, Michel Cadot, qui pilote les mises à l’abri, a prévenu que « ceux qui n’ont pas le droit au séjour » seront priés de quitter les lieux d’hébergement au bout de quelques jours. Or, une partie de plus en plus importante des personnes à la rue sont des « dublinés », des demandeurs d’asile dont la responsabilité dépend d’un autre état de l’Union européenne, soit parce qu’ils ont déjà fait une demande, soit tout simplement parce qu’ils y ont été enregistrés à leur arrivée en Europe. Théoriquement, la France peut les transférer mais elle n’y parvient que dans près d’un quart des cas. Même ceux qui peuvent prétendre à intégrer le dispositif national d’asile ne sont pas sûrs de pouvoir avoir un hébergement d’urgence tant le système est saturé.