Immeubles effondrés à Marseille : « On s’est habitués à vivre dans cette zone de guerre », confient des habitants un an après le drame
REPORTAGE•Un an après l’effondrement de la rue d’Aubagne à Marseille, la vie reprend petit à petit son chemin même si les cicatrices perdurent sur les habitants, comme sur les immeublesAdrien Max
L'essentiel
- Il y a un an, le 5 novembre 2018, deux immeubles s’effondraient rue d’Aubagne à Marseille, entraînant dans leur chute la mort de huit habitants.
- Un an après, la rue continue de vivre avec les stigmates du drame, vide laissé par l’effondrement, immeubles évacués, grillages de protection.
- Petit à petit la vie reprend, les dealers ont réinvesti la rue d’Aubagne et les associations poursuivent leur travail.
Emilie et Alexia jettent des regards à droite et à gauche. Elles ne savent plus où donner de la tête. « Mais c’est quoi en fait ? On a l’impression d’être dans une zone grillagée, comme une frontière », s’interrogent les deux jeunes filles. Tout juste débarquées de Paris, elles ont emprunté par hasard la rue d’Aubagne, à Marseille, pour aller manger un falafel. Et se retrouvent au milieu des barrières et des grillages érigés à la hâte au lendemain du drame de la rue d'Aubagne pour protéger les habitants, et empêcher l’accès d' immeubles frappés d’arrêtés de périls.
Dans ce quartier populaire, un an après la mort de huit personnes dans la chute de deux immeubles, le 63 et le 65 de la rue d’Aubagne, près de la moitié des immeubles de la partie haute de cet axe restent inhabités, car trop dangereux.
« On s’est habitué à cette zone de guerre »
Virginie n’est pas dans ce cas, elle a regagné l’appartement dont elle est propriétaire au 66 rue d’Aubagne « exactement en face des 63 et 65 », précise-t-elle. Mais il y a une semaine seulement, après une année passée dans un appart-hôtel. « J’attendais tellement ce moment, mais j’ai complètement craqué en arrivant dans mon appartement. Cette année est remontée d’un coup », confie-t-elle.
Depuis son retour avec son fils et son compagnon dans leur appartement, les volets qui donnent sur la rue d’Aubagne sont fermés, en attendant l’installation de rideaux. « Je ne me suis même pas posé la question de pourquoi je fermais les volets », admet-elle, toujours marquée. La vue que laissent entrevoir les fenêtres attire l’œil : les deux immeubles ont laissé place à un vide vertigineux, des grillages de protection installés de toute part, et des gardes qui s’assurent que personne ne s’introduit dans les immeubles, fermés pas de grosses chaînes cadenassées.
« On s’est habitué à cette zone de guerre, à cette zone abandonnée. Ce sont nos amis qui nous rappellent ce drôle d’environnement qui est devenu familier, alors qu’il n’a rien de normal. Mais c’est ce qui fait que c’est encore vivable. On n’a pas le choix de vivre derrière des grilles, de vivre dans une cage », témoigne Virginie qui vit toujours avec la peur d’une nouvelle expulsion : l’immeuble voisin reste frappé d’un arrêté de péril.
« Ma fille ne veut plus passer rue d’Aubagne »
La vie a néanmoins repris, et les habitudes des dealers aussi. « Le trafic de drogue est reparti de plus belle, sous les caméras de vidéosurveillance de la mairie. Ils sont encore plus nombreux, le portail bloque le carrefour et ils peuvent partir en courant dans trois rues », confie un voisin.
Plus on redescend la rue vers le quartier de Noailles, plus elle s’anime. Même si rien ne sera comme avant, comme l’explique Salah Eli Halabi, boulanger depuis 30 ans rue d’Aubagne et l’un des premiers arrivés sur les lieux du drame. « La moitié des clients sont partis. La rue est barrée et les commerces souffrent. On a une baisse du chiffre d’affaires de 50 %. Mais que voulez-vous que je fasse ? J’ai quatre enfants, un loyer, des employés. Avant, la rue d’Aubagne, ça marchait très bien. Il y avait des gens qui descendaient de la Plaine pour aller sur la Canebière. Tous les matins je passais devant ces immeubles, maintenant, je ne passe plus par là. Et ma fille ne veut plus emprunter la rue d’Aubagne », relate-t-il.
Les jeunes se réapproprient le quartier
Le local de l’association Dunes qui accueillait les enfants du quartier à quelques mètres des deux immeubles a aussi fermé. Mais l’association est parvenue à rouvrir un nouvel espace rue de la Palud, une rue parallèle à Aubagne. « C’était compliqué de mettre en place des dispositifs d’animation dans ce climat anxiogène, avant il y avait beaucoup de bagarres. Ça a été difficile de garder les jeunes après l’effondrement, mais nous sommes parvenus à récupérer un nouveau lieu », se félicite Youssef Ben Moussa, responsable du pôle animation de Dunes.
Et dans la tempête, sont nées de belles histoires. « On s’est relocalisé dans un local cent fois mieux, dans lequel on peut accueillir les jeunes plus sereinement. Ils réinvestissent le lieu qui est plus fréquenté qu’avant. On a fait des collectes avec les jeunes, cet événement a permis de recentrer les habitants au cœur du dispositif et les jeunes au cœur d’un projet éducatif », se réjouit Nourredine Bougrine, directeur de Dunes.
Ils ont perdu un parent, un voisin, leur logement, mais ils ont gagné des amitiés, la solidarité et l’entraide. Désormais, Virgnie prend chaque jour un café avec son voisin qu’elle se contentait de croiser avec le 5 novembre 2018.