EDUCATIONQue valent les idées des grandes écoles pour booster leur mixité sociale ?

Ouverture sociale : Les propositions des grandes écoles sont-elles prometteuses ?

EDUCATIONLes grandes écoles ont présenté lundi des pistes pour accroître la diversité sociale et géographique au sein de leurs établissements
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

L'essentiel

  • Frédérique Vidal a missionné en juin les Ecoles Normales Supérieures (Paris, Lyon, Rennes, Saclay), trois écoles de commerce (ESSEC, ESCP et H.E.C.) et l’Ecole Polytechnique afin qu’elles s’engagent sur l’ouverture sociale de leurs établissements.
  • Parmi leurs pistes d’action : des points bonus pour les boursiers aux concours, un repérage précoce des futurs talents, un recrutement en dehors des classes prépa…
  • Des mesures qui sont parfois difficiles à mettre en œuvre ou qui peuvent être déceptives.

«Le système de formation reproduit trop les inégalités sociales et territoriales en vigueur dans notre pays », a insisté la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, ce lundi. Car l’enseignement supérieur compte en moyenne 38 % de boursiers, alors que dans les grandes écoles, ils ne sont qu’entre 11 % et 19 %.

Pour changer la donne, la ministre avait missionné en juin les Ecoles Normales Supérieures (Paris, Lyon, Rennes, Saclay), trois écoles de commerce (ESSEC, ESCP et H.E.C.) et l’Ecole Polytechnique, afin qu’elles s’engagent sur le sujet. Elles lui ont remis leurs pistes d’action ce lundi. Les autres grandes écoles devront leur emboîter le pas et proposer leur feuille de route, qui sera validée par un comité de pilotage sur l’ouverture sociale de l’enseignement supérieur. Avec l’objectif d’atteindre des résultats probants d’ici à cinq ans. 20 Minutes passe au crible les différentes propositions.

  • Introduire un bonus pour les boursiers lors des concours

L’intérêt de la mesure

Les candidats issus de milieux défavorisés se verraient attribuer des points de bonus lors de la phase d’admissibilité du concours, qui a lieu sous forme d’épreuves écrites. Ceux qui touchent un montant de bourse plus élevé pourraient obtenir davantage de points que les autres. « On voit bien que la discrimination qui touche les boursiers à l’écrit s’estompe à l’oral », explique Pierre-Paul Zalio, président de l’ENS Paris-Saclay. « Aujourd’hui, nous ratons d’excellents candidats car ils n’ont pas eu la chance de préparer correctement les concours ; l’idée, c’est d’aller les chercher et de les former au meilleur niveau », renchérit Marc Mézard, directeur de l’ENS Ulm.

Ses limites :

Cette mesure, si elle est mise en place, ne fera pas consensus. « Elle suscitera des critiques », a reconnu Frédérique Vidal. « Ça va faire hurler ceux qui considéreront ce dispositif comme une remise en cause de la méritocratie républicaine », estime aussi Gérard Aschieri, rapporteur d’un avis du Conseil économique, social et environnemental intitulé Réussir la démocratisation de l’enseignement supérieur. Et la mise en œuvre sur le terrain risque d’être complexe : « Il faut trouver le bon niveau de bonus, car s’il est trop important, on fera passer tous les boursiers à l’oral, en éliminant les autres candidats », prévient Pierre-Paul Zalio. « Il faudra bien arbitrer entre les différents niveaux de bourses pour attribuer les points bonus, car un boursier à l’échelon 0 n’est pas forcément issu d’un milieu défavorisé », complète Gérard Aschieri.

  • Développer les admissions parallèles

L’intérêt de la mesure

Les écoles de commerce suggèrent d’encourager la diversité des modes de recrutement hors classes préparatoires, affichant l’objectif de « pouvoir accueillir rapidement entre 20 % et 25 % d’étudiants boursiers dans leurs établissements ». Il s’agirait de développer les modalités d’accès pour les titulaires de BTS, DUT et licence. Car le système des admissions parallèles attire des élèves qui redoutent la prépa ou pour lesquels le projet d’intégrer une grande école est venu en cours de route.

Ses limites

La plupart des écoles de commerce et d’ingénieurs ont déjà ouvert des concours bis pour les titulaires de BTS, DUT et licence. Difficile d’imaginer qu’elles puissent aller beaucoup plus loin. « Il faudrait aussi vérifier, chiffres à l’appui, si les admissions parallèles bénéficient beaucoup aux élèves issus de milieux défavorisés. Ou si ces voies d’accès ne touchent pas d’abord des élèves de milieux favorisés », explique Gérard Aschieri.

  • Rééquilibrer les Classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE)

L’intérêt de la mesure

Il s’agirait de diminuer le nombre de classes prépas dans les lycées de centre-ville pour l’augmenter dans les lycées plus excentrés. Tout en développant des places d’internats en parallèle. « Se déplacer pour s’inscrire en CPGE n’a rien d’évident, car tous les étudiants n’en ont pas les moyens financiers ou ont des réticences culturelles », indique Gérard Aschieri.

Ses limites

« Un meilleur maillage des classes prépa sur le territoire est une bonne chose, mais encore faut-il qu’elles soient de même qualité dans les zones rurales et instillent les mêmes méthodes de travail que celles des grandes villes. Car sinon, les meilleurs élèves ne les fréquenteront pas », prédit Gérard Aschieri.

  • Mieux accompagner les lycéens prometteurs

L’intérêt de la mesure

Les Écoles Normales Supérieures proposent de « repérer dès le lycée, voire même le collège » des jeunes ayant le potentiel pour candidater plus tard dans les très grandes écoles, avec un système d’accompagnement renforcé. « Le repérage pourrait s’appuyer sur le réseau de Normaliens qui enseignent en lycée », écrivent-elles. Polytechnique propose aussi de créer une classe passerelle qui permettrait de « mettre le pied à l’étrier aux jeunes pour qu’ils réussissent mieux en classe prépa », a indiqué Florence Parly, ministre de la Défense. Les écoles de commerce proposent aussi de « renforcer sur tout le territoire l’accompagnement des préparationnaires vers le concours » via des accompagnements pédagogiques très ciblés.

Ses limites

« Avec la réforme du lycée, ce sera plus compliqué d’accompagner un lycéen prometteur qui a choisi des spécialités éloignées des matières d’un concours de grande école. Ce ne sera pas évident pour lui de changer de spécialité », note Gérard Aschieri. Par ailleurs, ces dispositifs ne permettent pour l’heure qu’à un très petit nombre d’élèves d’intégrer une grande école.

  • Prévoir des épreuves différentes

L’intérêt de la mesure

Certaines épreuves sont jugées discriminantes socialement. « La dissertation, par exemple, est une épreuve socialement sélective, car elle nécessite beaucoup de références culturelles et renvoie à une démarche très abstraite », précise Gérard Aschieri. C’est pour ça que Sciences Po Paris avait créé une filière bis, en remplaçant le concours écrit pour les lycéens des zones défavorisées par deux oraux, jugés moins discriminants. Dans leur rapport, les écoles de commerce suggèrent d’inventer d’autres types de concours pour augmenter le recrutement des boursiers, fondés sur les « comportements individuels et de groupe, afin d’évaluer différemment des compétences telles que l’intelligence de situation, la créativité et le leadership ».

Ses limites

« Il ne faudrait pas juste remplacer un écrit par un oral, mais veiller par exemple à ce que les maths ne soient plus l’unique moyen de sélection dans certaines écoles et prévoir des épreuves technologiques ou autour de projets artistiques », estime Gérard Aschieri. Difficile aussi pour certaines écoles ancestrales de rompre avec une tradition très ancienne d’épreuves classiques.