VIDEO. « On ne vend pas du rêve mais du vrai », notre immersion chez les soldats de la Valbonne
VIS MA VIE DE SOLDAT•Le 68e régiment d’artillerie d’Afrique a invité des journalistes à vivre une journée d’entraînement au camp de la Valbonne, au nord de Lyon, dans l’AinElisa Frisullo
L'essentiel
- «20 Minutes » a participé jeudi à une journée d’immersion au sein du camp militaire de la Valbonne, dans l’Ain.
- L’occasion de suivre et participer à l’entraînement des hommes du 68e régiment d’artillerie d’Afrique.
- On vous détaille la journée, nos impressions et surtout l’objectif de ce « vis ma vie de soldat » pour l’armée.
Lorsque j’approche de l’entrée du camp de la Valbonne (Ain) en cette matinée d’octobre, l’air est frais et une bruine cingle mon visage. Je réalise qu’après avoir trépigné d’impatience à l’idée de cette journée d’immersion avec des militaires, je stresse. Le sujet « Vis ma vie de soldat » me plaît, mais il faut bien reconnaître que je ne suis ni une grande sportive (je crois décéder dès que je cours 2 km), ni une grande téméraire (j’ai la trouille du vide, du noir, des bestioles). Mais j’ai également peur du ridicule, donc maintenant que j’y suis, impossible de faire demi-tour.
A peine accueillie, je comprends vite que l’ambiance ne sera pas, comme j’ai pu l’imaginer un instant, au bizutage des sept journalistes invités à vivre cette journée d’immersion au sein du 68e régiment d’artillerie d’Afrique. On va nous plonger dans le quotidien de ces militaires qui ont servi au Mali en 2013 ou en Irak en 2016 et 2019, mais en douceur.
Tir, secours de blessés…
L’initiative de cette invitation revient au chef de corps du camp, le grand patron en somme. Le colonel David Pawlowski a 42 ans, vingt ans de carrière derrière lui et la volonté affirmée de créer des liens entre l’armée de Terre et la société civile. « On ne vend pas du rêve ici, mais du vrai », lâche-t-il. Et du vrai, nous allons en vivre. Vêtue de mon uniforme militaire, de mes rangers et le visage grimé de noir et de vert (je ressemble à un feuillage sur pattes), j’embarque dans un camion militaire, avec mes six camarades du jour. Direction le champ de tir où des soldats suivent une formation d’instruction.
Après avoir assisté à l’une des séances d’entraînement, nous voilà équipés de gilets par balle et d’un HK, l’armement de base des soldats français. Du haut de mes 159 cm, me voilà chargée de 15 kg supplémentaires auquel il faut ajouter une vingtaine de kilos encore lorsque les soldats ont l’attirail au complet (armes, mallette de secours, ration…) J’ai beau savoir que mon fusil sera chargé de balles à blanc, je ne fais pas la maline. Je réalise que ce que j’ai pris pour une journée de délire, un sujet « insolite » pour couper du train-train quotidien, va se révéler être une expérience aux enjeux nettement plus importants que mon petit défi personnel.
On nous apprend à armer nos fusils, les gestes de sécurité pour protéger ses camardes et soi-même puis on nous fait tirer. Coup par coup puis en rafale. Cela n’a rien d’un geste anodin. Je déteste le bruit de la détonation et la sensation que je ressens lorsque je tire, si bien que je ferme les yeux (tant pis si je passe pour une tringle) jusqu’à ce que ma cartouche soit vide. Puis notre équipe assiste à un exercice de secours de blessés « sous les feux ». Il s’agit de sauver l’un des siens, blessés et à terre, alors qu’en face, l’ennemi tire de toutes parts. Là encore, les soldats nous plongent dans la réalité, en nous plaçant à tour de rôle dans la peau de la victime traînée par ses camarades pour être sauvée et dans celle des sauveteurs, qui tout en prodiguant les premiers gestes de secours (garrot, dose de morphine…), doivent gagner une zone à l’abri tout en évitant les tirs de l’ennemi.
Attirer de jeunes recrues
L’expérience est instructive. Un homme à terre à traîner, cela demande une énergie folle. « Mais je vous assure qu’en opérations extérieures, avec tout le stress qu’il y a autour, on déploie une énergie dont on ne se sentait pas capable. Et encore plus quand le blessé, c’est votre camarade », confie l’un des officiers. A la pause déjeuner, on nous offre une ration, la même que celle donnée aux soldats qui partent pour une mission de 24 heures en zone de guerre. J’avale mon thon aux pommes de terre, réchauffé comme les vrais, à même le sol avec le matériel que contient le colis de ration, en écoutant le colonel qui nous a rejoints.
Cette discussion avec lui me donne des billes pour comprendre ce qu’il espère de notre journée d’immersion. Il attend qu’après cette expérience, nous soyons en mesure de comprendre le rôle du régiment d’artillerie, la diversité des métiers de l’armée de Terre et ce qui rythme la vie des soldats, et de transmettre ces informations au public. Afin de susciter, parmi les jeunes, des envies d’engagement. Car dans ce régiment de 850 militaires d’active et 150 réservistes, le besoin de recrutement est constant.
« Une jeunesse courageuse »
« Nous embauchons 200 recrues par an », indique le colonel Pawlowski. La tâche ne paraît pas si difficile. Après les attentats de 2015, de nombreuses candidatures sont arrivées au camp, comme dans toute l’armée de Terre. « Rassurons-nous sur notre jeunesse. Alors que la France se faisait taper dessus, il y a un tas de jeunes qui sont venus frapper à notre porte pour s’engager. Tous les jeunes qui nous rejoignent sont bons, motivés. On a une jeunesse courageuse », insiste le chef de corps.
« On ne leur ment pas. Ils sont conscients de la réalité : qu’ils vont être projetés en opérations extérieures, que certains sont morts en opération. Et en connaissance de cause, ils tapent à la porte des centres de recrutement de l’armée pour défendre la patrie », ajoute un officier du camp. Une motivation qu’il faut entretenir pour continuer à attirer de nouvelles recrues. Et pour cela, il ne faut pas compter sur les salaires (1.300 euros en début de carrière). Pour susciter des envies d’engagement, le colonel compte davantage sur l’escalier social propre à l’armée, avec la possibilité de passer de militaire du rang à sous-officier en trois ans, de faire tout un tas de métiers (du cuisinier à l’ingénieur informatique) et les valeurs véhiculées.
Après le déjeuner, j’avoue que j’ai un regard plus clair sur cette jeunesse qui s’engage. Mais il me faudra encore passer par le parcours naturel valorisé (obstacles) pour comprendre ce qui peut réellement inciter un gamin à entrer dans l’armée pour partir en zone de guerre. Lorsque nous rejoignons les soldats à l’entraînement, je me retrouve dans un groupe d’une dizaine d’hommes. J’ai envie de disparaître dans mon uniforme trop grand car je sais que je vais être le boulet de l’équipe.
Le risque ultime, « le sacrifice de sa vie »
Après 500 mètres, je suis essoufflée comme prévu, je me maudis de fumer comme un pompier et je suis à deux doigts d’abandonner aux premiers troncs d’arbre qu’on doit escalader. Mais je ne suis pas seule. A tour de rôle, les soldats m’aident à passer les obstacles, me hissent pour sortir d’une buse (trou), m’encouragent quand je rampe dans la terre et me félicitent. A aucun moment, ils ne rient de moi (même quand je fais un roulé-boulé en retombant d’un obstacle) ou ne me lâchent.
Au final, j’ai déjà mal partout mais je suis allée jusqu’au bout, portée par le groupe. Je comprends alors que c’est cette cohésion avec « ses frères d’armes » qui les motive, les fait tenir, à l’entraînement et en zone de guerre. Je mesure aussi à quel point toutes ces épreuves, que je m’imaginais vivre le matin même presque comme une distraction, n’ont rien d’un jeu. « L’enjeu ultime, cela peut-être le sacrifice de sa vie pour son pays », rappelle l’un des officiers.