La loi sur le secret des affaires « est faite pour cadenasser des secrets illégitimes », dénonce Edwy Plenel
POINT DE PRESSIONS•La liberté d’informer est-elle menacée ? « 20 Minutes » a rencontré spécialistes de la presse, témoins, journalistes et politiques, pour tenter de comprendre les changements dans les relations entre le pouvoir et les médiasPaul Blin Kernivinen
L'essentiel
- Media bashing, multiplication des lois visant à réguler la profession, difficultés rencontrées sur le terrain pour accéder à l’information : l’exercice du métier de journaliste est-il plus difficile depuis l’élection d’Emmanuel Macron ? La liberté de la presse est-elle menacée ?
- Pour tenter de comprendre les changements dans les relations entre le pouvoir et les médias, 20 Minutes a décidé d’interroger des spécialistes de la presse, des témoins de débordements, des journalistes, mais aussi des acteurs du gouvernement.
- Deuxième épisode de notre série « Point de pressions » sur les décisions gouvernementales vis-à-vis de la presse, depuis l’élection d’Emmanuel Macron, et l’impact de cet héritage « jupitérien » dont il se réclame.
«Il n’est pas question de réduire en quoi que ce soit la liberté de la presse » assurait Emmanuel Macron en 2015, alors jeune ministre de l’Economie. Pourtant, quatre ans plus tard, la loi sur la protection du secret des affaires suscite toujours autant d’inquiétudes.
Ce texte, qui transpose une directive européenne sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales, a pour objectif de protéger les entreprises contre l’espionnage industriel, et contre un éventuel pillage d’innovations. Mais il est aussi vivement critiqué par ses détracteurs comme une atteinte à la liberté d’informer.
Des secrets « illégitimes »
Le directeur de la publication de Mediapart, Edwy Plenel, est formel : « Cette loi est faite pour cadenasser des secrets illégitimes ! ».
La loi sur la protection du secret des affaires définit comme illicite « l’accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d’une appropriation ou d’une copie non autorisée de ces éléments ». Ce qui signifie concrètement qu’un lanceur d’alerte, ou un journaliste enquêtant sur une entreprise pourrait être poursuivi devant la justice par cette même entreprise.
Les poursuites judiciaires ne sont pas les seuls moyens de freiner le travail d’investigation des journalistes. En novembre 2018, le journal le Monde rapportait que l’un de ses journalistes s’était vu interdire l’accès à certains documents lors de l’enquête «Implant files», au nom de la loi sur la protection des affaires.
« Le secret d’une entreprise ne doit pas couvrir un délit commis par l’entreprise, martèle Edwy Plenel. Si une entreprise cache le fait que certaines de ses activités sont dangereuses pour la santé, (…) il est légitime de le révéler ».
La loi de 1881, de moins en moins protectrice ?
Alors que la loi sur la protection du secret des affaires semble renforcer la puissance des entreprises et leur garantir une sécurité (presque) totale, la loi de 1881, protégeant le travail des journalistes, pourrait avoir perdu de sa valeur. Ce texte voté sous la IIIe République, garantit notamment la protection du secret des sources des journalistes « dans l’exercice de leur mission d’information du public ». Mais est-il toujours respecté ? En mai 2019, la journaliste Ariane Chemin, à l’origine des révélations sur l’affaire Benalla a été convoquée par la Direction générale de la sécurité intérieure. « Ils m’ont posé beaucoup de questions sur la manière dont j’avais vérifié mes informations, façon indirecte de m’interroger sur mes sources », explique la journaliste.
Deux mois plus tôt, deux magistrats du parquet de Paris accompagnés d’enquêteurs avaient alors tenté de perquisitionner les locaux du journal, à la suite de la publication d’enregistrements d’Alexandre Benalla, mais les journalistes présents avaient refusé. Une tentative de perquisition qui, selon Edwy Plenel, cache un seul objectif : « Porter atteinte à nos sources, faire peur à nos sources, pour dire “Vous voyez, vous n’êtes pas en sécurité à Mediapart" ».
Plus récemment une déclaration de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet a mis le feu aux poudres. Dans une interview accordée au JDD en juin 2019, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet avait évoqué la possibilité de sortir de la loi de 1881 l’injure et la diffamation, pour les faire entrer dans le droit pénal. Face à ces inquiétudes, la ministre a réaffirmé qu’elle ne souhaitait pas modifier cette loi.