Marseille : L’Alcazar infestée de punaises de lit ? Pour la ville, c'est «un fléau de société, pas de santé publique»
PUNAISES DE LIT•Pour l’adjoint au maire chargé de l’hygiène et à la santé, l’infestation de la plus grande bibliothèque de Marseille, si difficile soit-elle, n’est pas une question de santé publiqueCaroline Delabroy
L'essentiel
- L’Alcazar est fermée depuis jeudi après-midi, après la découverte de punaises de lits sur un canapé du troisième étage.
- Des chiens renifleurs ont confirmé la présence des nuisibles et devaient poursuivre leur investigation dans le reste de la plus grande bibliothèque. Le traitement de tous les livres, notamment anciens, pourrait s’avérer long.
- Alors que des collectifs et syndicats demandent la création d’un service municipal dédié, la ville se refuse à faire des punaises de lit une question de santé publique.
C’est un défilé mince mais continu ce vendredi devant la bibliothèque de l’Alcazar à Marseille. Ou plus exactement devant la borne automatique permettant de ramener les livres : les Marseillais ayant emprunté des livres sont invités à les rendre au plus vite afin qu’ils soient traités contre les punaises de lit. « Ce n’est pas spécifique à Marseille, même à New York ils ont des punaises », lance un homme aux cheveux grisonnants, étonné que l’on s’intéresse à la fermeture de la plus grande bibliothèque de Marseille pour cause d’infestation de punaises de lit, jusqu’au 11 octobre prochain au moins.
Venu à vélo, le porte-bagages chargé de bouquins, Bruno ne se dit lui pas inquiet non plus, mais « préoccupé ». « Quand on voit que ça touche un établissement comme celui-là, fréquenté par des milliers de gens, cela pose une question de santé publique », estime-t-il, avant d’ajouter : « Il faudrait une solution mobile pour aider les familles dans le besoin qui sont touchées. » Pour Patrick Padovani, adjoint au maire chargé de l’hygiène et de la santé, le fait que l’Alcazar soit à son tour touchée, après 11 écoles en décembre 2018 et deux unités de l’hôpital de la Timone un an plus tôt, ne change rien à la donne. « C’est un fléau de société, ce n’est pas un problème de santé publique », répète-t-il devant la bibliothèque, après avoir rencontré le personnel qui a, un temps, envisagé d’exercer son droit de retrait.
« Il faut une politique de prévention »
« Et les problèmes psychologiques, le stress engendré, la dépression, ce n’est pas de la santé publique ça ? », interroge Katia Yakoubi, travailleuse sociale et membre du collectif de la Cabucelle qui, avec la France Insoumise, défend la création d’un service public marseillais de traitement des punaises de lit. « Tous les jours, je reçois des personnes qui me parlent des punaises de lit, raconte-t-elle. C’est un véritable fléau, tout le quartier de la Belle-de-Mai est infesté. Il faut le traiter dans sa globalité, aider ceux qui ne peuvent pas payer le prix d’une désinfestation, entre 400 et 1.000 euros, ramasser les matelas et meubles infestés et laissés sur le trottoir. » « On en a marre d’être la ville des retards programmés. Il faut une prévention, qui commence en étant au plus proche du terrain, à l’écoute des gens qui alertent », poursuit-elle.
Deux chiens renifleurs au travail
A l’intérieur de l’Alcazar, l’heure est encore à analyser l’étendue des dégâts. Deux chiens renifleurs, au travail depuis vendredi matin, ont confirmé le diagnostic, après la découverte d’un canapé infesté de punaises au troisième étage de la bibliothèque. La tente chauffante, actuellement au SAMU social pour traiter les dons de vêtements, va être rapatriée pour traiter les livres, et le mobilier jeté. « On va faire venir en urgence des équipements de protection pour les personnels », indique aussi Patrick Padovani, qui attend encore « des réponses du ministère de la culture » pour les livres anciens. Leur traitement s’avère en effet délicat puisqu’ils risquent de ne supporter ni le chaud (plus de 60 degrés) ni le froid (moins de 20 degrés), les deux solutions préconisées contre les punaises de lit. Sans oublier les autres bibliothèques, qui logiquement devraient être traitées aussi, puisque les livres circulent de l’une à l’autre.
« A deux rotations par jour sous la tente chauffante, il y en a pour des semaines de travail à mon avis », prédit Jean-Michel Bérenger, entomologiste au sein du laboratoire IHU Méditerranée infection, à Marseille. Si, pour lui, « on ne peut pas dire que ce n’est pas un problème de santé publique, du moment où il y a des atteintes psychologiques », la solution « ne vient pas seulement des pouvoirs publics ». « Il faut réapprendre aux gens à se débrouiller par eux-mêmes, assure-t-il. Avec de simples outils, un aspirateur, un nettoie vapeur et un aérosol pour finir le travail, et avec du temps, vous vous en sortez très bien ».
Des arguments qui ne convaincront sans doute pas Pascal Pons, de la CGT Educ-Action, qui s’est battu pour que les professeurs de la Cabucelle puissent exercer leur droit de retrait pour « danger grave et imminent ». « La ville est responsable de cette situation, elle doit prendre en charge frontalement le problème », tranche-t-il, quand Patrick Padovani avance la difficulté de « mettre en place une stratégie globale ». « Il faudrait mettre une ville entière sous cloche », lance en effet ce dernier. Reste que la situation à l’Alcazar ne le surprend pas totalement. « On était en train de travailler sur un protocole de prévention et d’action », dit-il. Les punaises de lit ont déjoué le calendrier.