Suicide d'une directrice d'école : « Ce qu’a vécu Christine, on le vit quotidiennement », des milliers de personnes rendent hommage à Christine Renon
REPORTAGE•Près de 3.000 enseignants, directeurs d’école ou parents d’élèves en colère sont venus à Bobigny (Seine-Saint-Denis) rendre hommage à Christine RenonDelphine Bancaud
L'essentiel
- Une foule est venue à Bobigny (Seine-Saint-Denis) rendre hommage à Christine Renon, la directrice d’une école de Pantin qui s’est suicidée dans son établissement, il y a une dizaine de jours.
- Les participants à ce rassemblement se sont retrouvés dans la lettre que Chrsitine Renon a laissé avant de mourir, et dans laquelle elle dénonçait ses conditions de travail.
- Beaucoup de manifestants ne comptent pas tourner la page de sitôt. Samedi matin, une marche blanche aura lieu à Pantin, entre la mairie et l’école maternelle où Christine Renon s’est donné la mort.
Ils sont venus parfois de loin, les yeux rougis et la pancarte en bandoulière. Et beaucoup d’entre eux n’ont pas hésité à sacrifier une journée de salaire. Ce jeudi après-midi, ils sont près de 3.000 enseignants, directeurs d’école ou parents d’élèves à être venus à Bobigny (Seine-Saint-Denis) rendre hommage à Christine Renon, la directrice d’une école de Pantin qui s’est suicidée dans son établissement, il y a une dizaine de jours. La date du rassemblement n’a pas été choisie au hasard, car c’est aussi celle des obsèques de Christine Renon et celle du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail mental) spécial de Seine-Saint-Denis.
L’ambiance est lourde, les gestes se font plus affectueux envers les collègues, histoire de montrer que l’on fait corps dans la peine. Sophie, enseignante dans une école maternelle du Tremblay (Seine-Saint-Denis), a soigneusement préparé sa pancarte, qu’elle porte autour du cou. « J’enseigne, tu enseignes, il/elle enseigne. Nous en saignons, Vous ignorez, Ils/elles en meurent », peut-on lire. Tout de suite, elle parle de la lettre de Christine Renon, adressée à une trentaine de ses collègues et vraisemblablement rédigée le jour de sa mort, dans laquelle elle dénonçait ses conditions de travail. « On se reconnaît dans chacun de ses propos. Enseignants comme directeurs, on a l’impression d’être à bout de souffle. De crouler sous les injonctions contradictoires, de ne pas avoir les moyens de travailler correctement, de ne pas être reconnu à notre hauteur… », explique-t-elle, le regard sombre.
« J’accumule les tâches, et chacune d’elles est prioritaire »
Une colère froide que l’on ressent aussi chez David Giri, directeur d’école à Villepinte (Seine-Saint-Denis) : « Quand j’ai lu la lettre de Christine Renon, j’ai vu défiler devant moi toutes mes journées. C’était glaçant. Moi aussi, j’accumule les tâches, et chacune d’elles est prioritaire. J’en suis au point où je ne réfléchis plus au sens de ce que je fais », déclare-t-il.
A ses côtés, Christophe Berrizzi, directeur d’une école à Clichy (Seine-Saint-Denis), évoque lui aussi ses journées à rallonge : « La semaine dernière, j’ai fait une journée de travail qui s’est étalée de 6h30 à 20h. Je déjeune devant mon écran et à la fin de ma journée, je me rends compte que je n’ai rien fait de ce que j’avais programmé, parce que j’ai dû gérer des urgences », confie-t-il. Et travailler en Seine-Saint-Denis, où les difficultés sociales des familles sont prégnantes, ajoutent à la dureté : « Il faut passer beaucoup de temps à expliquer et aider les parents qui ne sont pas francophones », indique Christophe Berrizzi. Quant à l’annonce ce jeudi, sur RTL par Jean-Michel Blanquer, de la création d'« un comité de suivi » associant syndicats et professionnels pour « faire évoluer » le statut des directeurs d’école, elle n’a pas été très bien reçue. « C’est un pansement sur une jambe de bois », résume David Giri.
« On est là pour crier dans toutes les rues “plus jamais ça !” »
Dans la foule, les pancartes témoignent de l’immense émotion causée par ce drame : « Ce n’est pas la charge de travail qui a tué Christine Renon, c’est le non-sens de son travail », « Plus jamais ça », « Tristesse et colère », « Je suis Christine Renon », « Christine, nous avons entendu ton appel et nous poursuivrons ton combat jusqu’au bout »… Soudain, un chant retentit, que la foule reprend en chœur : « On est là pour crier dans toutes les rues “plus jamais ça !” ». Puis, ce sont des « Blanquer, démission ! » rageurs, qui se font entendre.
Chacun se fige pour observer une minute de silence en mémoire de la directrice décédée. Viennent ensuite les applaudissements que la foule adresse à la disparue. Puis une lettre du frère de Christine Renon est lue au micro : « Nous ne devons pas laisser salir la mémoire de Christine (…) Non, elle n’était pas fragile, ni dépressive. Ils nous l’ont détruite ». Un porte-parole des syndicats d’enseignants fait l’inventaire des revendications communes. « Pour nos collègues de Pantin, nous voulons le retour à la semaine de quatre jours, un temps de décharge supplémentaire pour les directeurs d’école, une aide administrative, le respect de la liberté pédagogique », déclare-t-il. Des propos salués par une salve d’applaudissements.
« Le décès de Christine n’est pas un fait divers »
Jean-François, directeur d’école à Pantin, est particulièrement ému : « Le décès de Christine n’est pas un fait divers. Ce qu’elle a vécu, on le vit quotidiennement. C’est pour ça que ça ne m’étonne pas qu’on soit si nombreux aujourd’hui », confie-t-il. Et beaucoup de manifestants ne comptent pas tourner la page de sitôt.
Samedi matin, une marche blanche aura lieu à Pantin, entre la mairie et l’école maternelle où Christine Renon s’est donné la mort. « J’y serai, évidemment. Il n’est pas question d’oublier Christine, ni demain, ni jamais », témoigne Fanny.