Suicide d’une directrice d’école : « Je comprends l’acte désespéré de Christine Renon et j’espère qu’elle ne sera pas morte en vain »
VOUS TEMOIGNEZ•Après le suicide de la directrice d’école maternelle, Christine Renon, vous avez été nombreuses et nombreux à témoigner de conditions de travail très difficilesTristan Lescot
L'essentiel
- Christine Renon, directrice d’école maternelle en Seine-Saint-Denis, s'est donné la mort au sein de son établissement lundi 23 septembre.
- Elle a laissé une lettre, détaillant ses conditions de travail et la pression qu'elle subissait.
- Ce jeudi, jour des ses obsèques, des directeurs et professeurs d’école manifestent dans plusieurs villes.
Christine Renon s’est suicidée dans son école maternelle. Quelques jours auparavant, elle rédigeait une lettre où elle dénonçait des conditions de travail intenables et un épuisement professionnel. Ce courrier où elle met en cause l’Education nationale, a été envoyé à son inspection d’académie et à tous les chefs d’établissement de Pantin. Un drame qui touche profondément l’ensemble du personnel enseignant. Ce jeudi, jour des obsèques de Christine Renon, directrice, directeurs et membres du corps enseignant manifestent dans plusieurs villes, dans l'émotion et la colère.
La détresse décrite par elle semble tout sauf solitaire. Vous avez été des centaines et des centaines à répondre à notre appel à témoignages.
Un personnel enseignant épuisé
Virginie se définit comme une « maîtresse passionnée et fatiguée ». Elle décrit une situation impossible à gérer sur le long terme : « Nous sommes enseignantes mais pas seulement… Médiatrices, infirmières, assistantes sociales, psychologues et comptables (pour gérer les cotisations de coopérative scolaire, les ventes d’objets pour le marché de Noël, de stands pour le spectacle de fin d’année). » Le travail d’enseignant est loin de se limiter aux heures de cours : « Aux six heures quotidiennes face aux élèves, préparations, corrections et mise en place des activités, on nous ajoute 108 heures (rencontres parents, réunions, conseils, formations, soutien) que l’on doit recenser dans un tableau la dernière semaine d’école alors que tout le monde est exténué par l’année qui vient de s’écouler. »
Cette charge de travail qui ne cesse de s’alourdir, vous êtes nombreuses et nombreux à la pointer. Sylvie est enseignante en élémentaire depuis plus de 20 ans : « Il faut justifier de la moindre action, du moindre projet par un ou plusieurs formulaires auprès d’une ou plusieurs administrations. La semaine dernière, j’ai fait une semaine de 63 heures de travail (sur 7 jours – les pauses sont décomptées…). C’est exceptionnel, mais les semaines de 45 heures sont devenues la routine. »
En tant que professeur stagiaire en collège, Clarisse connaît déjà la souffrance des journées à rallonge : « On nous demande une masse de travail gigantesque validée principalement en fin d’année par une visite de l’inspecteur qui est décisive. » Elle rappelle un fait trop souvent oublié : « Le temps de travail des enseignants n’a pas été modifié depuis les années 50, le tout pour un salaire de 1650€ net mensuels. »
Aucun soutien de leur hiérarchie
Le poste de directrice ou directeur d’école est encore plus contraignant et difficile. Guylaine peut en témoigner. Elle est directrice depuis 17 ans et la manière dont son métier a évolué a de quoi effrayer les plus courageux : « Les jours de classe, on n’échappe pas aux nombreux petits riens qui vous pourrissent la vie : coups de téléphone – il n’y a pas de secrétaire dans l’école-, élèves des autres classes au comportement difficile à gérer -parce que le directeur, c’est la dernière solution quand l’enseignant n’y arrive plus-, parents qui veulent nous voir parce qu’ils ne sont pas contents à propos de la cantine, de l’étude, du périscolaire, de l’enseignant de leur enfant… ». Et ce n’est qu’un aspect du travail. « Nous sommes noyés par le travail administratif. » Du secrétariat, des centaines de mails à traiter, de la gestion de documents.
Le tableau brossé par Jacqueline qui travaille à La Réunion, n’est pas plus tendre : « Ce qui est très éprouvant psychologiquement c’est l’absence de soutien de la hiérarchie, c’est leur déni de la réalité de la souffrance au travail » Elle doit, en plus, gérer des projets, souvent imposés : « Projet préservation des rivières, projet permis piéton, permis cycliste, projet jardin potager, projet chorale, projet violences intrafamiliale, etc. » Elle conclut, amère : « Les enseignants ne sont plus libres de leur pédagogie, ils ne maîtrisent plus leur calendrier des cours. Ce qui contribue au burn-out et même au suicide. »
« Je comprends l’acte désespéré de Christine Renon »
Vos témoignages vont tous dans le même sens : manque de moyens, journées devenues oppressantes, multiplication des réformes, manque de soutien, voire de peu d’humanité de votre hiérarchie. Et pourtant vous nous le dites, vous continuez à aimer, parfois passionnément, votre métier.
Vous vous demandez juste que faut-il de plus pour enfin être entendu. Mélodie pourrait résumer l’état d’esprit général : « Oui j’ai des vacances scolaires, oui j’ai mes week-ends, oui je peux aller chercher mon fils après l’école mais à quel prix ? J’en ai marre d’essayer de faire bonne figure devant les parents lorsque le gouvernement pond une nouvelle réforme farfelue, marre de n’avoir aucune considération…. Alors oui, je comprends l’acte désespéré de Christine Renon et j’espère qu’elle ne sera pas morte en vain. »