FAKE OFFLe vrai du faux sur l’obsolescence programmée

L’obsolescence programmée existe-t-elle vraiment ?

FAKE OFFSi l’obsolescence programmée est un délit reconnu par la loi, cette notion, selon laquelle des industriels concevraient leur produit de manière volontairement malveillante pour pousser à la consommation, est décriée
Alexis Orsini

Alexis Orsini

L'essentiel

  • Parmi les différentes mesures portées par le projet de loi anti-gaspillage, l’une entend lutter contre l’obsolescence programmée.
  • Ce concept, selon lequel des industriels construiraient volontairement leur produit de façon à ce qu’il devienne vite inutilisable pour pousser au rachat, est connu depuis des années.
  • La pratique est considérée comme un délit en France, mais son existence prête au débat.

«L’obsolescence programmée, c’est une arnaque pour la planète et pour votre porte-monnaie. Et on veut que ça s’arrête ! » Tel est l’engagement pris par Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire, dans une courte vidéo mise en ligne sur Twitter, fin septembre.

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Le but ? Faire connaître l’une des mesures prévues dans le projet de loi anti-gaspillage : la mise en place d’un indice de réparabilité des produits électriques et électroniques, sur une note de 1 à 10. En assurant une meilleure information des consommateurs, le gouvernement espère ainsi ouvertement lutter contre un délit passible, depuis 2015, de deux ans de prison et de 300.000 euros d’amende.

Car l’obsolescence programmée suppose, selon les termes de l’article L213-4-1 du Code de la consommation, qu’un « metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement » grâce à un « ensemble de techniques ».

En clair, les industriels instaureraient volontairement une date limite de fonctionnement à leur produit pour pousser les consommateurs à le racheter (ou à passer au modèle suivant). Si l’idée fait partie de l’inconscient collectif depuis longtemps, la réalité d’une telle pratique fait débat de longue date.

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« Il y a une part de fantasme dans l’obsolescence programmée : en utilisant le terme de " programmée ", on sous-entend une intention délibérée, de la part du fabricant, de réduire la durée de vie d’un produit dès sa conception par intention malveillante. Il faudrait plutôt parler d’obsolescence d’incompatibilité, avec des connectiques qui deviennent désuètes et obligent à renouveler son produit », nous précise Dominique Roux, professeure à l’université de Reims Champagne-Ardenne, spécialisée dans les questions de consommation.

« En soi, l’obsolescence programmée est très difficile à prouver. En étudiant les cas rencontrés sur le site " Comment réparer ", où des internautes demandent de l’aide sur la réparation de leurs produits à des techniciens, j’avais par exemple pu constater que plus de 200 sèche-linge avaient été victimes de la même panne. Mais comment prouver si celle-ci est volontaire ou pas ? », poursuit Dominique Roux. Le ministère de la Transition écologique le reconnaît également : « Invoquer un tel " délit " pose toujours la question de la preuve et de sa difficulté, car la volonté de tromperie d’un industriel ne peut pas être [simplement] présumée. »

De fait, bien que l’exemple du cartel Phoebus – des entreprises qui ont sciemment, entre les deux guerres, limité la durée de vie d’ampoules pour maintenir leurs prix élevés sans crainte de concurrence – se retrouve souvent cité comme exemple de cette pratique, aucune condamnation n’a encore été prononcée en France contre des industriels reconnus coupables d’obsolescence programmée.

« Cette notion est plus fantasmée que concrète »

Deux plaintes ont été déposées ces dernières années par l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP) : la première contre différents fabricants d’imprimante, auxquels il était (notamment) reproché de bloquer les impressions lorsque les cartouches d’encre sont censées être vides alors qu’elles ne le sont pas totalement –, la seconde contre Apple, accusé d’avoir délibérément ralenti le fonctionnement d’anciens modèles d’iPhone pour pousser à l’achat des derniers sortis.

Si Apple a bien reconnu ralentir certains anciens modèles d’iPhone, ce procédé visait un autre but selon les explications de l’entreprise, rappelées par Alexandre Delaigue, professeur d’économie à l’université de Lille : « L’exemple des batteries d’iPhone n’est pas très favorable à l’argumentaire d’une obsolescence programmée. Certes, Apple a manqué de transparence et de communication, mais ce ralentissement visait à prolonger la durée de vie des smartphones [en préservant la batterie], afin d’éviter qu’ils ne fonctionnent plus. Sans compter qu’une politique de remplacement à coût réduit des batteries a été mise en place. Au bout du compte, c’est donc même l’inverse de l’obsolescence programmée. »

« L’idée que les constructeurs vendraient volontairement des produits difficilement réparables a beau être séduisante de prime abord, elle est absurde : si vous achetez un lave-vaisselle et qu’il tombe en panne au bout de deux ans, vous n’allez pas racheter un produit de la même marque », poursuit-il, « La réalité est plus simple : les entreprises construisent de nombreux produits de qualité variable, qui répondent aux différents besoins des consommateurs. Si vous voulez un lave-vaisselle indestructible, il faut vous tourner vers une marque allemande comme Miele et débourser plus de 1.000 euros. Mais dans le même magasin, vous trouverez aussi des lave-vaisselle à 200 euros, qui n’ont pas la même durabilité et ne répondent pas aux mêmes contraintes de fabrication. »

Le paradoxe des consommateurs

Le cas Apple, régulièrement cité en exemple d’obsolescence programmée, a en tout cas marqué l’opinion. Et notamment certains sénateurs, qui « ont souhaité enrichir le projet de loi » en obligeant les constructeurs de smartphones à proposer « des mises à jour correctives » du système d’exploitation jusqu’à dix ans après la commercialisation d’un modèle, comme le souligne le ministère de la Transition écologique à 20 Minutes.

De son côté, outre ses plaintes, l’association HOP préconise certaines mesures jugées utiles contre l’obsolescence, comme l’instauration « d’un compteur d’usages, qui permettrait de savoir combien de cycles a fait une machine à laver, pour permettre de mieux l’entretenir, ou encore la mise en place d'un fonds de réparation pour les rendre moins cher », selon sa co-fondatrice et présidente, Laëtitia Vasseur. Autre idée : l’augmentation de la durée minimum de garantie (actuellement de deux ans) : « On aimerait que les produits soient garantis plus longtemps et en fonction de leur nature : un ordinateur à 2.000 euros devrait être garanti plus longtemps qu’un ordinateur à 300 euros. »

Les suspicions autour de l’obsolescence programmée ne sont en revanche pas près de s’atténuer, comme le note Dominique Roux : « L’exemple du cartel pour les ampoules est avéré et il a créé une suspicion logique. Mais ce n’est pas parce qu’il y a eu un cas qu’il faut en tirer une règle générale du " tous pourris ". » Elle pointe par ailleurs le fait que les consommateurs eux-mêmes participent à cette obsolescence. « Cela provient d’une envie de nouveauté, de ne pas se réfréner dans ses achats. Même si le marketing joue beaucoup là-dedans, ce phénomène d’obsolescence est loin d’être la seule faute des autres, contrairement à ce qu’on entend souvent. »

« Il ne faut pas se laisser distraire d’un vrai problème dans l’industrie, comme celui des malfaçons – un modèle de télévision défectueuse qui explose, par exemple –, que les fabricants tentent de camoufler, ou encore d’authentiques tentatives de duperie du public, comme avec Volkswagen et les moteurs diesel », conclut pour sa part Alexandre Delaigue.