Paris : « Les normes antipollution mettent plus de temps à être appliquées pour les deux-roues que les voitures »
INTERVIEW•Une étude inédite réalisée par le Conseil international pour un transport propre (ICCT) démontre que les voitures diesels sont au-dessus des normes de pollution prévues par l’UE et révèle que les deux-roues y jouent un rôle importantPropos recueillis par Sélène Agape
L'essentiel
- Le Conseil international pour un transport propre (ICCT) a réalisé une étude, entre le 18 juin et le 16 juillet 2018, sur les performances environnementales de 180.000 véhicules toutes catégories confondues, en plein milieu de la circulation à Paris.
- L’organisme, à l’origine du scandale du « Dieselgate », révèle que les émissions polluantes aux oxydes d’azote (NOx) des voitures diesels, même des modèles les plus récents, sont au-dessus des normes en vigueur selon l’Union européenne.
- Le rapport, dévoilé le 10 septembre, s’intéresse également à la pollution des deux-roues : selon ses conclusions, les motos et les scooters rejettent jusqu’à six fois plus de NOx et onze fois plus de monoxyde de carbone (CO) que les voitures essence les plus récentes.
La bataille antipollution menée par la mairie de Paris est loin d’être terminée. Selon une étude inédite réalisée par l'association environnementale ICCT, dévoilée mardi, les émissions polluantes aux oxydes d’azote (NOx) des voitures diesels qui circulent dans la capitale – les modèles les plus récents y compris – sont au-dessus des normes européennes en vigueur.
Les conclusions de ce rapport, présentées lors d’une conférence de presse conjointe avec la Ville de Paris et AirParif, ont aussi révélé que les motos et les scooters, très prisés à Paris émettent en moyenne 11 fois plus de monoxydes de carbone et 6 fois plus de NOx qu’une voiture essence. « C’est la première fois qu’on parvient à mesurer les deux-roues en conditions réelles. C’est important, puisque les motos et les scooters sont appelés à occuper une part croissante des émissions à l’avenir. Les deux roues Euro 4 sont Crit’Air1, ils peuvent rouler jusqu’en 2030 », a expliqué Yoann Bernard, chercheur à l’ICCT, à l’AFP.
Pour mener à bien cette expérimentation, l’organisme – à l’origine des révélations sur le « dieselgate » – a examiné quelque 180.000 véhicules toutes catégories confondues (dont 3.455 deux-roues), avec le concours de la Ville de Paris et du ministère de l’Intérieur (via le fichier des immatriculations). Ils ont analysé quotidiennement la composition et la concentration des gaz et particules émises, sorties directement des pots d’échappement, sur trois sites de la capitale, entre le 18 juin et le 16 juillet 2018. Plus de 5.000 mesures ont été réalisées en plein milieu de la circulation.
20 Minutes a interrogé Nicolas Meilhan, conseiller scientifique au sein de l’institution France Stratégie, un organisme rattaché à Matignon, sur les résultats de cette étude et les enseignements qu’il faudrait en tirer.
Avez-vous été surpris par les conclusions dévoilées par l’ICCT ?
C’est une confirmation de ce que l’on savait déjà. Un des objectifs sur lesquels travaillaient les ministères était de faire passer le diesel en Crit’Air 1, ça va être plus compliqué désormais… Ces résultats, cohérents avec ceux des autres campagnes menées par l’ICCT notamment à Londres, confirme que les véhicules récents génèrent encore des émissions de dioxydes d’azote (NO2) très élevées et très au-dessus des normes, en condition de conduites réelles.
Cela vient aussi confirmer que le système Crit’Air n’est pas adapté et doit être modifié et amélioré. On comprend également qu’on a laissé rouler lors des pics de pollution d’ozone les véhicules les plus polluants puisque plus de 60 % des émissions d’oxydes d’azote émanent des véhicules de Crit’Air 2, autorisés par la circulation différenciée. Le rapport démontre également que les voitures diesels Euro 5 et 6 [mis en service entre le 1er janvier 2011 et le 1er janvier 2015, et mise en service après le 1er septembre 2015] ont des performances environnementales similaires à celles des voitures essences en ce qui concerne les particules. Donc, la dépollution de ces véhicules via les filtres à particules est efficace. Le problème, c’est qu’on compte en France entre 15 et 20 millions de véhicules non équipés de filtres à particules : on devrait les équiper.
Est-ce cela signifie que la circulation différenciée, en vigueur à Paris lors de pics de pollution, n’est pas si effective ?
Désormais, il faudrait interdire tous les véhicules avec un moteur diesel lors des pics de pollution estivaux à l’ozone. La maire de Paris Anne Hidalgo a en tout cas mis en place une politique volontariste pour lutter contre la pollution, avec la restriction des véhicules les plus polluants. Cependant, on constate que depuis cinq ans les niveaux des particules fines PM2.5 ne baissent plus et les niveaux de dioxydes d’azote ne s’améliorent pas malgré les mesures mises en place : la mairie de Paris doit aller encore plus loin et encore plus vite.
Cela veut dire que l’on n’a pas encore trouvé le moyen de faire réduire les taux d’émissions. Un exemple simple : sur le périphérique parisien à Porte d’Auteuil, le niveau de dioxyde d’azote mesuré est plus de deux fois supérieur à la norme. Il faut savoir que les voitures individuelles contribuent à un peu moins de la moitié des émissions de dioxydes d’azote. Donc si demain on interdisait la circulation de toutes les voitures individuelles sur le périphérique parisien, on serait toujours au-dessus de la norme. Ça montre l’ampleur du chemin qu’il reste à parcourir…
Ce rapport s’est aussi intéressé à la circulation des deux-roues et démontre qu’en moyenne le niveau de pollution des motos et scooters est plus élevé que celui des véhicules particuliers. Comment ça s’explique ?
Ce n’est pas non plus une surprise. Les normes antipollution mettent plus de temps à être appliquées pour les deux-roues que les voitures particulières. Le rapport dit qu’on a réalisé des améliorations concernant les véhicules plus récents, mais effectivement les niveaux restent largement supérieurs à ceux émis par des véhicules essence, et comparables à ceux émis par les véhicules diesel. La circulation de tous ces véhicules qui émettent 4, 5, 6 fois au-dessus des normes devrait être limitée.
Je rappelle que la France a été assignée en justice devant la Cour de justice de l’Union européenne pour ses dépassements des niveaux annuels de dioxyde d’azote. Nous ne respectons pas les normes en place depuis 2010. Par conséquent, pour revenir dans les clous, il faudrait limiter toute l’année la circulation des véhicules les plus polluants. Et ce n’est prévu qu’en 2024…
Encourager les conducteurs de deux-roues à passer aux deux-roues électriques, peut-il aussi être une solution ?
Le scooter électrique peut être une solution intéressante. Mais la contrainte du véhicule électrique, aussi bien les voitures que les deux-roues, c’est de pouvoir le charger sur une prise électrique. Un très bon compromis, c’est le vélo électrique. Il permet une vitesse moyenne en ville plus élevée que les scooters et voitures. Mais tout cela à condition d’avoir les infrastructures réservées à son usage, de réduire la vitesse de circulation des voitures en ville à 30 km/h et ainsi inciter les gens à prendre leur vélo.
Et quelles actions pourrait-on adopter pour faire bouger la situation ?
Il faut regarder ce qui est fait en Allemagne, où les villes ont restreint la circulation jusqu’à près de 80 % des véhicules diesel – les diesels Euro 5 inclus – après décisions de justice. Sur ce modèle, il faut s’intéresser à tous les axes les plus pollués dans l’Hexagone (rocades, périphériques, etc.) et limiter sur ces derniers la circulation des véhicules les plus polluants (camionnettes, bus, camionnettes incluses). Bien évidemment, si on veut que les gens ne prennent pas leur voiture, il faut leur proposer des alternatives. On ne met pas assez en avant celle du covoiturage. On pourrait prendre des mesures efficaces pour apporter un véritable gain aux usagers, comme leur réserver des voies sur les rocades, comme c’est le cas depuis 50 ans aux Etats-Unis. Une des propositions que j’ai notamment formulées est de permettre à une personne qui conduit un véhicule polluant mais qui pratique le covoiturage de circuler sans restriction sévère, car par ce procédé, la pollution est divisée par deux. Cela va non seulement permettre d’encourager le covoiturage mais aussi de ne pas exclure les personnes qui ont des moyens financiers limités.
On pourrait aussi comme l’a fait l’Allemagne attaquer en justice la préfecture de Région, qui est responsable de la qualité de l’air, en lui indiquant premièrement que depuis neuf ans, nous ne respectons pas les normes en vigueur et que deuxièmement aucune action n’a été prise et mise en œuvre pour y arriver, malgré une récente assignation en justice courant 2018. Mais nos ONGs n’ont malheureusement pas du tout les mêmes moyens à disposition qu’en Allemagne pour lancer des procédures judiciaires. Le sujet végète encore chez nous…