Grenelle des violences conjugales : Hébergement des victimes, formations des policiers… Que peut-on attendre de ce grand rendez-vous ?
LUTTE•Le gouvernement lance ce mardi un Grenelle sur les violences conjugalesAnissa Boumediene
L'essentiel
- Ce Grenelle sur les violences conjugales, qui s’ouvre ce mardi, se clôturera le 25 novembre prochain.
- Toutes les parties prenantes sont invitées à s’exprimer dans le cadre de ce rendez-vous, destiné à lutter contre les violences faites aux femmes et proposer des aides concrètes aux femmes victimes de violences conjugales.
- Les associations d’aide aux victimes attendent beaucoup de cet événement, et Marlène Schiappa promet que « ce Grenelle ne sera pas qu’un coup d’épée dans l’eau ».
Garantir la sécurité des victimes, leur offrir le soutien dont elles ont besoin avant qu’il ne soit trop tard et renverser la courbe glaçante du nombre de féminicides : tel est l’objectif du « Grenelle des violences conjugales », dont le lancement a lieu ce mardi à Matignon. Avec ce rendez-vous, le gouvernement entend faire reculer les violences physiques ou sexuelles dont sont victimes quelque 220.000 femmes chaque année dans un cadre conjugal, selon les données officielles.
Associations et proches de victimes de féminicides attendent beaucoup et espèrent que ce rassemblement de toutes les parties prenantes permettra de déboucher sur des mesures rapides, concrètes et assorties des moyens nécessaires. Et rappellent l’urgence à agir, alors qu’à ce jour, 101 femmes sont mortes depuis le 1er janvier 2019, tuées par leur compagnon ou ex-compagnon.
Quelles mesures concrètes peut-on attendre à l’issue de ce Grenelle ?
Pour mener une réflexion permettant de dégager des mesures efficaces de lutte contre les violences conjugales, la secrétaire d’Etat à l’Egalité femmes-hommes Marlène Schiappa a convié environ 80 personnes à Matignon. « Agents publics, responsables associatifs, acteurs de terrain, policiers, gendarmes, magistrats et avocats, ainsi que des proches de victimes de féminicides : nous avons la volonté de rassembler l’ensemble des parties prenantes pour dégager des solutions concrètes », a expliqué la secrétaire d’Etat lors d’un point presse. Cette concertation, qui doit s’achever le 25 novembre, date de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, sera aussi déclinée en « 91 Grenelles locaux », a-t-elle annoncé.
Un Grenelle envisagé en trois axes majeurs : « prévenir » les violences, « prendre en charge » les victimes, et « punir » les agresseurs. Et « ce qui permettra d’agir efficacement, c’est une action coordonnée, parce que les différents acteurs ne travaillent pas en concertation », a souligné Marlène Schiappa. Ainsi, ce mardi, seront réunis autour du Premier ministre, Edouard Philippe, et de Marlène Schiappa les ministres Nicole Belloubet (Justice), Christophe Castaner (Intérieur), Jean-Michel Blanquer (Education), Julien Denormandie (Logement) et Adrien Taquet (Protection de l’enfance).
Développement de l’hébergement des victimes ou encore formation des policiers et gendarmes – régulièrement accusés de refuser d’enregistrer certaines plaintes – seront parmi les principaux points de réflexion. Par ailleurs, 73 psychologues devraient être recrutés afin d’offrir un accompagnement psychologique aux femmes victimes de violences. « Une victime qui se rend au commissariat peut être en état de choc, de sidération, et ne pas être en mesure de dire ce qu’elle a subi, expose la secrétaire d’Etat. Les psychologues seront là pour les écouter et soutenir. »
Et ensuite ? Des « annonces fortes seront faites dès le premier jour du Grenelle » par le chef du gouvernement, promet Marlène Schiappa.
Quels moyens seront alloués à la lutte contre les violences conjugales ?
La secrétaire d’Etat l’assure, « chaque nouvelle politique publique donnera lieu à un financement dédié ». Mais dans un premier temps, elle entend déjà « faire en sorte que les dispositifs existant soient réellement utilisés », faisant notamment référence au « téléphone grave danger », introduit dans la loi en 2014 et à ce jour très peu déployé. Il s’agit d’un appareil muni d’une unique touche permettant d’appeler les secours, octroyé gratuitement pour six mois renouvelables aux femmes victimes de violences conjugales qui en font la demande. Une fois enclenché, il permet une intervention rapide des forces de l’ordre. Or « les deux tiers de ces téléphones d’urgence dorment dans des placards, faute de décision pour les attribuer », déplore la secrétaire d’Etat à l’Egalité femmes-hommes.
Elle prévoit aussi le déploiement du « dispositif électronique de protection anti-rapprochement » (DEPAR), prévu par la loi depuis février 2017, mais qui n’a encore jamais été testé en France. Un dispositif composé d’un bracelet électronique permettant de géolocaliser l’ex-conjoint violent et d’un boîtier dont est munie la victime, et qui permet à cette dernière d’être informée si son ex-compagnon s’approche. S’il pénètre dans une « zone interdite », une alarme se déclenche automatiquement et permet l’intervention des forces de l’ordre.
Marlène Schiappa a par ailleurs annoncé la création d’un fonds spécial, le « fonds Catherine », « parce qu’il y a autant de femmes victimes de violences conjugales chaque année que de personnes qui portent ce prénom en France », a-t-elle précisé. Un fonds pour l’heure doté d’un million d’euros « qui sera distribué à des associations locales de terrain et qui permettra le financement d’actions locales concrètes, poursuit-elle. Cela peut être l’achat d’une voiture par exemple, qui peut permettre à une association d’avoir les moyens logistiques d’emmener une victime porter plainte, ou de la conduire à un lieu d’hébergement ». Un dispositif qui sera expérimenté dans trois régions (Bourgogne, Hauts-de-France et Pays de la Loire).
Pour l’heure, le budget actuel consacré à la lutte contre les violences conjugales est estimé à 79 millions d’euros, selon le rapport « Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ? » publié fin 2018 par le Haut Conseil à l’égalité (HCE). Mais pour le HCE, c’est une enveloppe annuelle de 506 millions d’euros qu’il faudrait débloquer pour lutter efficacement contre les violences conjugales et apporter aux victimes l’aide dont elles ont besoin.
Qu’attendent les associations de cet événement ?
Associations et militantes féministes dénoncent aussi le manque de moyens alloués à ce sujet, pourtant érigé grande cause du quinquennat. Le collectif #NousToutes, qui ne participera pas au Grenelle, réclame ainsi un milliard d’euros pour mieux prévenir les violences faites aux femmes, et déplore le montant débloqué par le gouvernement pour alimenter le « Fonds Catherine ».
Mais plusieurs associations veulent croire que ce Grenelle peut permettre d’améliorer l’accompagnement des victimes. « Toute instance de consultation est utile et nécessaire », estime au contraire Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF), qui souligne que des financements supplémentaires ont été apportés début juillet au numéro d’écoute 3919 opéré par son organisation. « Nos priorités, ce sont une meilleure prise en compte de l’autorité parentale et un meilleur accès à l’hébergement des femmes victimes de violences », explique-t-elle. La FNSF souhaite que la possibilité de « dissimulation de l’adresse de la mère » soit étendue aux situations non couvertes par les « ordonnances de protection » délivrées par des juges aux affaires familiales. Une solution pour éviter que l’ex-conjoint violent ait accès aux coordonnées de son ancienne compagne s’il partage avec elle l’autorité parentale sur un ou plusieurs enfants. Cette fédération demande en outre un « renforcement de l’arsenal législatif » passant par la création de « tribunaux spécialisés ». Une préconisation récurrente des associations, alors que des victimes de violences conjugales se plaignent de n’avoir pas été entendues par les juges les ayant auditionnées.
La présidente de la Fondation des femmes, Anne-Cécile Mailfert, a appelé elle aussi de ses vœux une justice « plus rapide, coordonnée et accessible, avec des instances spécialisées », dans une récente tribune publiée par Le Parisien. Marie Cervetti, de l’association « FIT, une femme, un toit », place elle aussi « beaucoup d’espoir en ce Grenelle », et appelle à un « socle stratégique pour combattre les violences sexistes et sexuelles ».
Des appels entendus par Marlène Schiappa, qui promet que « ce Grenelle ne sera pas qu’un coup d’épée dans l’eau ».