Pourquoi la réforme du lycée sera-t-elle le dossier chaud de la rentrée pour Jean-Michel Blanquer ?
EDUCATION•Avant l’été, le sujet était déjà explosif, provoquant la grève des correcteurs du bac, mais en septembre, les enseignants pourraient à nouveau faire entendre leur voixDelphine Bancaud
L'essentiel
- En cette rentrée, Jean-Michel Blanquer a renoué le dialogue avec les syndicats d’enseignants pour déminer le terrain.
- Mais le début de la mise en œuvre de la réforme du lycée dans les établissements risque d’entraîner des crispations.
- Les emplois du temps alambiqués, le manque de volontaires pour devenir profs principaux et les diverses épreuves communes de contrôle continu à organiser pourraient faire des étincelles.
Le calme avant la tempête ? Mardi dernier, lors de sa conférence de presse de rentrée, le ministre de l’Education a joué la carte de l’apaisement avec les syndicats d’enseignants, soulignant son « besoin de travailler plus en profondeur avec les partenaires sociaux ». Une manière de calmer le jeu après ces derniers mois, où il a dû affronter l’ire des syndicats à propos de sa loi pour l’école de la confiance et une grève inédite des correcteurs du bac, en juin, pour protester contre la réforme du lycée.
Mais cette volonté de faire retomber la pression laisse sceptiques certaines organisations syndicales. Car cette rentrée sera celle du début de la mise en œuvre de la réforme du lycée, sur laquelle plusieurs des prédécesseurs de Jean-Michel Blanquer se sont cassé les dents. Des changements interviennent cette année pour les élèves de première, qui seront les premiers à passer le bac sous sa nouvelle forme en juin 2021. « On est assis sur une poudrière. Il ne suffira pas d’un peu de pommade de la part du ministre pour éviter l’explosion », a prévenu ce jeudi Frédérique Rolet, secrétaire nationale du Snes-FSU, premier syndicat du secondaire. « On prend acte du changement de méthode du ministre. Mais on veut des avancées concrètes. Il y a encore risque de conflit en cette rentrée », annonce aussi Stéphane Crochet, secrétaire général du syndicat SE-Unsa.
Des emplois du temps alambiqués
Réforme oblige, les séries S, ES et L ont été supprimées et remplacées par des enseignements de spécialités, que les élèves de seconde ont choisis dans la perspective de la première. Ce qui n’a pas été sans poser problème : « D’après une enquête menée en juillet auprès d’une centaine de lycées, dans la moitié d’entre eux, des élèves ont été contraints de changer leurs vœux quand trop peu d’élèves demandaient une spécialité ou quand les capacités d’accueil étaient déjà atteintes », indique Claire Krepper, secrétaire nationale du syndicat SE-Unsa. « Les élèves se sont aussi vus opposer des refus d’options », constate Sophie Vénétitay, secrétaire générale adjointe du Snes-FSU. Des déceptions qui pourraient entraîner des tensions à la rentrée entre les parents d’élèves et les équipes pédagogiques.
Les emplois du temps des profs et des élèves risquent aussi de constituer un point de crispation. Car les proviseurs ont dû s’arracher les cheveux pour les concevoir : « Un travail complexe puisqu’il a fallu caser les enseignements de troncs communs, les enseignements de spécialités et les options. Sachant que certains lycées ont mélangé, dans une même classe, des élèves ayant choisi des spécialités différentes, afin d’éviter de reproduire les filières qui existaient précédemment », rapporte Philippe Vincent, secrétaire général du SNPDEN, syndicat des principaux et proviseurs. « Les emplois du temps des profs comme des élèves pourraient se trouver sensiblement dégradés », anticipe Claire Krepper. « Certains d’entre eux risquent d’avoir des amplitudes horaires très larges avec des trous dans la journée », renchérit Sophie Vénétitay. Et le fait que certaines classes rassemblent des élèves ayant des spécialités différentes pourrait déplaire aux élèves : « Ils seront ensemble une quinzaine d’heures lors des enseignements de tronc commun. Cela sera-t-il suffisant pour assurer leur cohésion et leur permettre de former un groupe classe ? », s’interroge Philippe Vincent.
« Il y aura une pression liée à l’évaluation des élèves toute l’année »
Les proviseurs risquent d’avoir un autre casse-tête à gérer : trouver suffisamment de professeurs principaux. D’autant que leur rôle a été renforcé avec la réforme du lycée, deux profs principaux étant désignés en terminale pour aider les élèves à s’orienter. « Nos collègues ne veulent pas de cette mission, car ils ne veulent pas fourvoyer les élèves en ne leur délivrant pas un accompagnement optimal, faute de temps », explique Frédérique Rolet. « Certains enseignants refusent cette mission de prof principal, car ils sont opposés à la réforme et d’autres parce qu’ils ne sont pas à l’aise avec l’idée d’avoir une classe dont les élèves n’auront pas beaucoup de cours en commun, en raison de leurs choix de spécialités différents. Du coup, les proviseurs vont sans doute devoir discuter pour convaincre les réticents de revenir sur leur refus », prédit Philippe Vincent.
Le renforcement du contrôle continu pour obtenir le bac ne semble pas, non plus, passer comme une lettre à la poste dans les lycées. « Il y aura une pression liée à l’évaluation des élèves toute l’année. Comment vont-ils réagir à ça ? », interroge Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Snes-Fsu. Des questions demeurent également sur les modalités d’organisation des deux sessions de quatre épreuves communes de contrôle continu en classe de première (histoire-géo, deux langues vivantes, enseignement scientifique) et d’une épreuve en plus pour la spécialité non retenue en terminale. « Il faudra les étaler sur plusieurs demi-journées, ce qui risque de poser un problème d’organisation », prévient Claire Krepper. « Nous ne voulons pas que nos lycées se transforment en mini-centres d’examens trois fois dans l’année, ce qui nous empêcherait de maintenir les cours pour les classes non concernées par les épreuves », s’alarme Philippe Vincent.
Certains aménagements de la réforme pourraient avoir lieu
Face à ce risque de tensions, Jean-Michel Blanquer s’est montré prudent, en annonçant mardi qu’un comité de suivi serait mis en place, animé par Pierre Mathiot, l'un des penseurs de la réforme. « Il pourra prévoir des aménagements », a-t-il assuré. Pas de quoi rassurer totalement les syndicats : « Si c’est juste pour regarder les trains passer, cela n’aura aucun intérêt », résume Philippe Vincent. « Il faudra que ce comité s’inscrive jusqu’à 2022, pour mesurer très concrètement l’impact de la réforme sur les conditions de travail des enseignants et les personnels de direction, sur les résultats des élèves, leurs choix d’orientation et l’admission de leurs vœux dans Parcoursup », ajoute Claire Krepper. Jean-Michel Blanquer est prévenu.