VIDEO. L'Aquarium de Paris fait le pari de l'aquaponie

VIDEO. L'Aquarium de Paris fait le pari de l'aquaponie

REPORTAGEA l'Aquarium de Paris, un biologiste s'est lancé dans la semi-aquaponie, cette agriculture bio sans jardinier qui assure aux pousses une eau riche en déjections de poissons
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Pour la première fois cet été, des tomates et poivrons ont poussé juste au dessus des bassins des poissons à l'Aquarium de Paris.
  • En effet, l'eau de certains aquariums vient arroser et nourrir des légumes et fruits.
  • Un système inspiré de l'aquaponie, ce cercle vertueux et bio, qui permet d'utiliser l'eau des poissons.

«Tu as goûté les tomates cœur de bœuf ? », demande Alexandre Dalloni à Charline Durant-Wolff… Les deux collègues assurent qu’elles étaient goûteuses. Et pourtant, nous ne sommes pas dans un potager partagé ou en stage de permaculture… mais dans un aquarium ! Ces deux employés de l’Aquarium de Paris, dans le XVIe arrondissement, ont eu le plaisir de goûter les premiers légumes qui poussent sous terre, sans lumière du jour, grâce aux déjections des nombreux poissons.

« Est-ce que vous voyez des tomates rouges et vertes ? », a coutume de demander Alexandre Dalloni, médiateur pédagogique, au public pendant la visite du matin. Car il est vrai que, même avertie, il n’était pas évident de distinguer fleurs d’aubergine, tomates cerises jaunes, tomates vertes à l’ancienne, concombres et poivrons verts. « En général, les visiteurs sont étonnés et intéressés quand on explique qu’on a un potager ! », s’amuse Alexandre. Surpris, mais à la page, deux jeunes visiteurs écoutent avec intérêt les explications sur l’aquaponie (une contraction entre le mot « aquaculture », élevage de poissons et « hydroponie », culture de plantes par de l’eau enrichie en minéraux).

Une initiative récente et peu visible

« J’en ai entendu parler en cours d’histoire géographie, mais je n’avais pas remarqué les légumes au dessus des bassins », avoue Yannis, 19 ans, quand on lui dévoile une tomate verte. « Je ne savais pas du tout qu’il y avait un potager, sur le site internet l’information n’est pas mise en avant et devant les bacs, on est surtout concentrés sur les poissons », remarque Océane, 18 ans.

Des tomates toute l’année

Pourtant, depuis un mois, les salariés de l’Aquarium de Paris peuvent déguster leurs propres légumes. Une aventure née il y a six mois d’un choc. Quand Victor Coiffier débarque à l’Aquarium de Paris comme biologiste et responsable des plantes, il regrette que l’espace dédié à la Seine, juste à l’entrée, mette en scène des plantes tropicales peu typiques de notre capitale… « Je me suis dit, mettre des fleurs, c’est du déjà-vu, alors pourquoi pas faire un potager avec des espèces de fruits et légumes locaux ? » Pour cela, Victor Coiffier teste l’aquaponie : une technique durable, innovante et ancienne, qui permet aux plantes de pousser au milieu des poissons… Un cercle vertueux simple qui permettra peut-être à l’avenir de manger local : l’aquarium apporte de l’eau aux plantes, mais aussi azote et nitrates que les poissons rejettent. Déjections absorbées par ces mêmes plantes potagères, qui « nettoient » ainsi l’eau des poissons. « Du fumier naturel, nocif pour les poissons et indispensable pour un potager est présent dans cette eau, résume Victor Coiffier. Ce qui revient à dire que l’on peut produire à la fois des poissons et des légumes. » Autre avantage de taille : il n’y a pas de saison sous terre. « On pourra avoir des tomates toute l’année et récupérer les graines pour faire notre semis ! », s’enthousiasme le biologiste.

Un potager en semi-aquaponie 100 % bio

Victor s’est inspiré de ce système vertueux pour se lancer dans la semi-aquaponie : un entre-deux, où l’eau des poissons alimente bien les plantes, san faire le chemin inverse. « En général, il faut installer des structures flottantes qui auraient cassé le décor et puis il y a le risque que les poissons manquent de lumière », justifie-t-il. Voilà pourquoi on ne découvrira pas des courgettes qui poussent dans l’eau. En revanche, derrière les bacs où bullent goujons, gardons et poissons rouges, un système d’arrosage part des aquariums pour offrir un goutte-à-goutte nourricier aux pousses. « Ce qui veut dire qu’on optimise le chauffage, l’eau, la lumière des poissons qui sert également aux légumes, se félicite Victor. C’est vraiment du 100 % bio. » D’ailleurs, il y a quelques mois, l’équipe a dû faire preuve d’inventivité car les fleurs étaient menacées par une invasion de pucerons. « Comme on a des poissons, on ne peut évidemment pas utiliser des produits phytosanitaires, on a donc introduit des coccinelles qui mangeaient les larves », sourit le biologiste.

Objectif pédagogique

Un potager sans pesticide, mais aussi sans jardinier, donc. Ou presque… « Le seul défaut, c’est qu’il n’y a pas de pollinisation », nuance Alexandre Dalloni, médiateur pédagogique. En effet, sans vent et insectes, c’est la main humaine qui remplace Dame Nature. Ou plutôt celle de Victor, qui reprend : « Pour les courgettes, ça a été un échec car leurs fleurs mâles et femelles ne restent ouvertes que 24h et c’est tombé pendant un de mes jours de congé ! »

Pourra-t-on un jour déguster au restaurant les légumes cultivés grâce aux déjections des poissons ? « Notre production restera limitée, car nous n’utilisons que les bacs avec de l’eau douce, nuance le responsable des plantes. L’eau salée brûlerait les racines… » Il n’empêche. L’équipe espère d’ici quelques mois faire pousser de la vanille et des orchidées dans le bassin tropical en semi-aquaponie. Et continuer de tester de nouvelles espèces de fruits et légumes dans la vitrine dédiée à la Seine. « Quand on pense aux poissons, en général le grand public se limite au poisson rouge, mais une visite à l’aquarium permet de découvrir différentes espèces, de connaître mieux leurs nageoires, leurs formes… Pour les légumes, c’est pareil, on espère dévoiler l’existence des tomates vertes, jaunes, noires, blanches… » Avec quelques grappes seulement pour cette première récolte, l’Aquarium de Paris poursuit surtout un objectif pédagogique en donnant à voir une autre façon, durable et économique (l’installation en semi-aquaponie a coûté entre 300 et 400 euros) de cultiver ses légumes. Et Alexandre Dalloni, médiateur pédagogique, de se réjouir : « C’est dans l’air du temps et si ça peut donner envie à des particuliers d’utiliser l’eau de leur aquarium pour arroser leur jardin, tant mieux ! » Peut-être la mode de l’aquaponie viendra-t-elle un jour détrôner le chic d’avoir un lombricomposteur chez soi…