Faut-il réguler l'usage des trottinettes électriques en libre-service?
TRANSPORTS•Une association de victimes d’accident demande plus de contrôle au ministère des Transports
Jean-Loup Delmas
L'essentiel
- Ce lundi, une association de victimes d’accident a demandé une meilleure régulation des trottinettes électriques au ministère des Transports.
- Le véhicule fait toujours autant polémique.
- Une régulation semble devoir se faire au regard de son inadaptabilité à l’espace public restreint des villes.
Si vous en avez assez des trottinettes électriques, sachez que vous n’êtes pas seul dans votre haine. Ce lundi, l’Association philanthropique action contre l’anarchie urbaine vecteur d’incivilité, plus simplement appelé Apacauvi, a été reçue par le ministre des Transports. Elle estime que les trottinettes électriques ne sont pas assez régulées et l’organisme serait prêt à porter plainte contre la Mairie de Paris pour mauvaise gestion de ces véhicules.
Un avis que partage l’économiste des transports Yves Crozet. Pour lui, le verdict est sans appel, il faut réguler les trajets avec ces véhicules. « Les trottinettes électriques répondent à une demande individuelle, celle du gain de temps. Or, du point de vue collectif, la rareté n’est pas le temps mais l’espace, et c’est cette ressource qu’empiètent les trottinettes électriques. Ses promoteurs vivent dans l’illusion que l’espace public est abondant et infini, alors que ce n’est pas du tout le cas dans les villes. »
170 victimes quotidiennes en Ile-de-France
Trop rapides pour ne pas causer d’accidents sur les trottoirs, trop lentes pour ne pas poser de problème sur la route, les trottinettes électriques entrent dans un « conflit d’usage » avec d’autres moyens de transport plus adaptés à ce si cher et si rare espace public.
Pour l’association Apacauvi, c’est d’ailleurs l’un des points centraux de leurs revendications, l’interdiction totale sur le trottoir : « Il y a 170 victimes quotidiennes recensées par jour rien qu’en Ile-de-France. On s’est fait complètement déborder par ces trottinettes, qui je le rappelle, n’ont jamais été autorisées sur la voie publique. Il faut sanctuariser les trottoirs pour les piétons », plaide Nadejda L.Loujine, membre de Apacauvi.
Un marché éphémère
Les villes n’ont pas attendu l’association pour réagir. A Madrid, le port du casque y est obligatoire et la vitesse des trottinettes est limitée. A Paris, des amendes sont distribuées en cas de circulation sur les trottoirs et la Mairie a limité le nombre d’entreprises gérant les engins.
Mais pas forcément besoin de l’intervention publique pour voir le phénomène se calmer comme l’atteste Yves Crozet : « On assiste à une autorégulation car la part de marché reste très faible et les utilisateurs de trottinettes sont extrêmement marginaux. Il y avait treize fournisseurs à Paris, la moitié a déjà fermé. On a eu l’engouement d’un marché myope sur la réalité, et on voit désormais une régulation économique. Le marché n’est pas stabilisé et s’effondre. » Du coup, une fois la hype passée, le nombre de trottinettes diminue de lui-même, et ça n’aura pas échappé aux habitants des grandes villes, les hordes de deux roues électriques sont moins nombreuses qu’il y a quelques mois.
Une régulation encore plus demandée
Loin d’apaiser les tensions, cette autorégulation « naturelle » pousse encore plus à réclamer une régulation forcée : « Cela ne fait que confirmer qu’on laisse beaucoup d’espace public à un véhicule marginal, pas rentable et dangereux », appuie Yves Crozet.
Du coup, quelle régulation mettre en place ? Pour Apacauvi, au-delà des piétons, « il faut que les opérateurs de trottinettes ainsi que les utilisateurs prennent une assurance obligatoire. Et réguler le nombre de trottinettes, même si leur nombre diminue naturellement. Ce sont des objets à durée extrêmement brève, polluant, dangereux. » La Mairie de Marseille a notamment pris des mesures contre les nombreuses trottinettes jetées à l’eau. A Rennes, les trottinettes sont proposées en format longue durée (un an et/ou achat) depuis le 1er juillet.
Yves Crozet plaide également pour limiter le nombre d’opérateurs tout en soulignant les efforts mis en place par la Mairie de Paris comme la redevance d’usage de chaque trottinette ou la fameuse interdiction de circuler et de stationner sur les trottoirs. Pour l’économiste, c’est bien la Mairie qui aura le dernier mot : « On l’a vu avec le modèle du Vélib’, de l’autolib', etc. Chaque percée d’un nouveau mode de transport finit par retomber très vite, sauf soutien colossal de la Mairie. La poussée d’urticaire de la trottinette ressemble à celle qu’ont connue toutes les nouvelles offres de véhicules. Aujourd’hui, l’autolib' est considéré comme un échec, Uber est en déficit, et le Vélib’fonctionne avec des subventions et dans une ville qui accepte de revoir tout son espace public pour lui faire un peu de place. La Mairie de Paris est-elle prête à faire ces efforts pour la trottinette ? J’en doute fortement. »