Pourquoi les Français n’anticipent-ils pas les bouchons?

Bouchons: Mais pourquoi les Français prennent-ils la voiture lors des journées noires?

TRAFIC ROUTIERMais pourquoi les Français continuent-ils à prendre la voiture le premier week-end d'août, alors qu'ils savent très bien qu'il y aura des bouchons monstrueux ?
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Ce samedi midi, avec le chassé-croisé entre les juillettistes et les aoûtiens, un pic de 762,4 kilomètres d'embouteillages a été atteint.
  • Un évènement prévisible, arrivant chaque premier week-end d’août, mais qui n’a nullement empêché nombre de Français de prendre la voiture.
  • Alors pourquoi un peuple qui sait se lever à trois heures du matin pour voir la fin de « Games of thrones » en direct ne sait pas anticiper des bouchons si prévisibles ?

EDIT : En raison des bouchons monstres de ce samedi 31 juillet, nous vous reproposons à la lecture, cet article paru le 3 août 2019. En espérant qu'il vous aidera à passer le temps.

Ce samedi midi, on comptait plus de 750 kilomètres de bouchons sur toute la France. Le fameux week-end du chassé-croisé aura tenu ses promesses, le départ des aoûtiens mêlé au retour des juillettistes n’auront pas manqué de bloquer pas mal d’axes routiers à travers tout le pays.

Chronique d'un bazar annoncé. Tant et si bien qu’on se demande comment il est possible que ce scénario, si prévisible, se répète chaque année ? Les Français sont-ils vraiment incapables d’anticiper ? Laetitia Dablanc, directrice de recherche à l’Institut français des sciences et technologies des transports (IFSTTAR), se montre indulgente : « Beaucoup de Français anticipent et s’arrangent pour prendre la route soit avant, soit après, mais il en reste suffisamment pour créer des bouchons ! Il y a également des contraintes personnelles ou professionnelles incompressibles. »

La somme de contraintes individuelles

Sans parler du manque d’alternatives crédibles : « Le train reste cher si on est plusieurs, pas pratique avec les bagages et surtout il n’y a pas à l’heure actuelle assez de capacité dans les trains qui permettrait un report massif, tout simplement. »

Pour Jean Viard, sociologue des vacances, c’est tout le pays qui pousse les Français à prendre la route lors de ces fameux week-ends charnières : « L’été, ce n’est pas que les individus qui sont en vacances. La société entière est en vacances. » Et d’évoquer pêle-mêle les entreprises qui ferment début août, obligeant les travailleurs à prendre congé à ce moment-là, les vacances scolaires, les locations à la semaine impérativement du samedi au samedi, mais aussi une certaine tradition historique : « En 1936, lors des premiers congés payés du Front populaire, la date était fixée du 1er au 15 août », rappelle-t-il. De quoi inciter, par mimétisme générationnel, à faire de même.

Pour le spécialiste, c’est surtout une somme de décisions contraintes individuelles qui s’ajoutent : « Les grands-parents qui ramènent les enfants à leurs parents, ces derniers qui vont partir en vacances directement après, en plus des travailleurs… Sans parler de tous les étrangers qui circulent en France pour se rendre en Espagne. Chacun le fait car c’est le plus pratique pour lui, voire parce que la société l’y contraint. Mais l’ensemble de ces décisions aboutissent à ces bouchons collectifs. »

Des bouchons pas si mal vécus

Au point de créer des difficultés de circulation sur tout le pays, donc. Et si, au fond, le Français s’en fichait bien de passer une journée dans les bouchons ? Laetitia Dablanc soutient l’idée : « Si les bouchons sont durs à vivre, les gens les voient surtout comme "un mauvais moment à passer" et préfèrent les subir plutôt que de perdre un ou deux jours de vacances. La tolérance à la congestion est sans doute plus élevée qu’on ne croit. »

Même analyse du côté de Jean Viard. Si Bison Futé se la joue journée apocalyptique, le sociologue estime qu’un bouchon, « ce n’est pas la mort. Encore moins de nos jours avec la climatisation, les infos trafic et la très bonne surveillance des autoroutes. Sans parler que lors des journées noires, les camions sont interdits de circulation, ce qui est la grande peur du conducteur, bien plus que le bouchon. »

Et comme il le rappelle, le voyageur n’a pas de valeur étalon de durée pour se plaindre : « Le trajet Paris-Côte d’Azur est fait une seule fois dans l’année. Du coup, que ça prenne deux heures de plus ou non, le vacancier ne verra pas la différence. Ce n’est pas une habitude qu’il verrait contrariée. »

Vers des solutions à l’avenir ?

Le pays semble donc condamné à subir des bouchons à chaque week-end charnière. Au-delà des usagers particuliers, ne peut-on rien faire à un niveau étatique ou du côté des sociétés d’autoroute pour lutter contre le phénomène ? Laetitia Dablanc ne se veut pas si immobiliste : « Une régulation par les tarifs de l’usage des routes est tout à fait possible. Il est absurde de faire payer les mêmes tarifs sur autoroute aux jours et heures creuses de l’année et aux heures et jours pleins », plaide-t-elle.

Elle évoque notamment la possibilité de meilleures alternatives ferroviaires, notamment avec l’ouverture à la concurrence de la SNCF, et « à long terme, le lissage des vitesses, lorsque les véhicules seront davantage connectés – voire automatisés, ce qui aura un impact. »

De quoi espérer des autoroutes fluides le premier week-end d’août ? La directrice de recherche douche tout espoir : « Ne rêvons pas, il y aura toujours plus de demande ce week-end-là que pendant d’autres week-ends ! » Allez, bonne attente sur l’autoroute !