L'essor des stations balnéaires: (So) Nice, ou le tourisme créé par et pour les Anglais
TOUS A LA PLAGE (4/5)•« 20 Minutes » prend le train des vacances et remonte aux origines des spots du littoral français les plus emblématiques
Romarik Le Dourneuf
L'essentiel
- Cet été, 20 Minutes se replonge dans les débuts des stations balnéaires françaises, en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France.
- Aujourd’hui, direction Nice.
- Une ville dont le développement a été fortement influencé par les Anglais.
«Je m’enrhume bien moins facilement ici qu’en Angleterre et en France. » En écrivant ces mots en 1765, Tobias Smollett, médecin et romancier écossais, ne se doute probablement pas qu’il fait partie de ceux qui vont inventer le tourisme à Nice. Initialement de passage pour seulement quelques jours, avant de rallier l’Italie, il y restera… deux ans. Au milieu du XVIIIe, il est de tradition, pour les jeunes aristocrates anglais, de se lancer dans un « Grand Tour » (en VO), afin de compléter leur « formation » dans le sud de l’Europe. Ils sont alors appelés les « tourists » (eh oui !).
Et si au départ, Nice, alors simple Comté, ne fait pas partie des étapes de ce « Grand Tour », le bouche-à-oreille va petit à petit l’y inscrire. En effet, depuis 1760, l’Empire britannique, qui commence à investir la Méditerranée pour y ouvrir une nouvelle route vers les Indes, stationne des navires à Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes), non loin de la cité niçoise. Les officiers qui s’y succèdent rapportent régulièrement à la cour leur émerveillement devant ce lieu où la montagne se jette dans la mer. Une première vague, parmi les nombreuses que va connaître Nice, est en train de se former.
« D’abord une station climatique qu’on visite en hiver »
« Au XVIIIe, le Comté de Nice tournait le dos au littoral. Les activités viticoles et maraîchères se trouvaient du côté des montagnes, et la mer était réservée aux pêcheurs et aux marins », explique Yves Gastaut, historien et maître de conférences à l’Université de Nice. Ce sont donc les Anglais qui font « pivoter » la ville. Le mouvement est initié par les médecins britanniques, convaincus des vertus thérapeutiques des lieux. François Laquièze, directeur de mission à Nice patrimoine mondial, abonde : « Nice est d’abord une station "climatique" qu’on visite en hiver. Les Anglais de la cour et de l’aristocratie viennent principalement d’octobre à avril pour soigner les tuberculoses et autres maladies dans la douceur de l’hiver azuréen. L’été, ils vont chercher la fraîcheur ailleurs. »
Dans une lettre parue des années plus tard, en août 1885, dans le Journal de l’enseignement, un certain Gaston écrit : « Mon cher ami, je t’avais déjà dit, il y a quelques semaines, que mon père devait me faire faire un voyage à Nice, pour y passer l’hiver, vu la faiblesse de ma santé […]. Sous la double action du chaud soleil du Midi et de l’air salin de la Méditerranée, les souffreteux reviennent promptement à la santé. »
L’influence de l’Empire britannique est telle que des nobles d’autres pays européens leur emboîtent le pas. Les grandes familles niçoises y voient alors une manne potentielle, en comprenant l’intérêt d’investir dans la construction de villas à l’extérieur de la vieille ville (comme le Palais d’York, anciennement Palais Spitalieri de Cessole). « Les étrangers n’ont pas le droit de posséder du foncier à l’époque du Royaume de Piémont-Sardaigne. Donc les locaux construisent pour eux, mais gardent un ou deux étages à louer », précise François Laquièze. Des membres de haut rang viennent s’installer dans le « new-borough », du côté de la rue de la Buffa.
C’est de cette manière que naît un des joyaux de Nice, la villa Furtado Heine, bâtie pour Lady Rivers, nièce du Premier ministre britannique de l’époque, William Pitt. Ces nouveaux locataires empruntent alors un sentier, le long de la mer, pour joindre la vieille ville. Sentier qui deviendra, au fil du temps, l’une des promenades les plus connues au monde.
La Promenade des Anglais
Sous le joug français de 1793 à 1815, Nice revient ensuite dans le giron sarde. Près de 120 familles britanniques viennent en villégiature l’hiver, ce qui représente, avec les intendants et domestiques, entre 1.200 et 1.500 personnes. « On se dit alors qu’il faut contrôler la croissance de la ville, explique François Laquièze. En se posant une question : "Qu’est-ce qu’aiment les Anglais ?". Une ville moderne se dessine, avec des rues larges qui accueillent le soleil, orientées Est-Ouest pour avoir les façades au Sud, de la verdure et des îlots ouverts dans un style néoclassique. Le Consiglio d’ornato (sorte de conseil d’urbanisme) est mis en place pour veiller à cette application. »
Même les touristes mettent la main à la poche, puisque Lady Sparrow, une noble anglaise avide de balades en bord de mer, décide d’améliorer le sentier qui longe la plage. Elle est épaulée par le révérend anglican Lewis Way, qui y voit une bonne action à accomplir en embauchant les désœuvrés pour les travaux. Le passage deviendra dans un premier temps La strada degli inglesi, renommé ensuite " la Promenade des Anglais". Dans L’Univers illustré du 14 mai 1881, A. Brunet nous décrit l’ambiance : « La Promenade des Anglais est bordée de palmiers. Rien de plus amusant que de s’y rendre vers les trois heures de l’après-midi. Toute la colonie féminine est là, exhibant des toilettes dont la description fournirait des plages entières à une plume mondaine […]. » Et d’ajouter avec enthousiasme : « On ne peut s’empêcher de proclamer que "Nice la Belle" est, sans conteste, la plus admirable station hivernale de l’Europe ».
La Belle Époque française et la Reine d’Angleterre
Offerte en cadeau à Napoléon III en 1860, Nice profite alors de la richesse française pour construire sa gare, qui la connecte au réseau européen et entraîne l’arrivée d’une nouvelle vague de touristes. « Auparavant, les villégiatures duraient quatre à cinq mois en raison de la longueur du voyage, au moins deux semaines. Désormais, on peut arriver de Londres en à peine plus d’un jour », explique François Laquièze. Vient donc une clientèle moins riche, composée de bourgeois et de membres des classes supérieures, qui veulent imiter les têtes couronnées lors de séjours plus courts.
Alors que des intellectuels tels que Berlioz, Flaubert ou Alexandre Dumas séjournent sur place et font la promotion des lieux. Le maire, François Malausséna (mandat de 1861 à 1870), met en place un modèle bien précis : une banque achète les terrains, un architecte dessine la voirie, on organise des lots, et on vend. Deux types de constructions apparaissent. D’un côté, les « meublés », des immeubles standards destinés à la location pour les voyageurs occasionnels. De l’autre, des villas construites selon la fantaisie des acheteurs, avec des emprunts de différents styles exotiques et mauresques, comme le très original Château de l’Anglais sur le Mont-Boron.
Les collines, plus au nord, accueillent les plus grands hôtels, comme le Winter Palace ou encore le Riviera Palace. Ils sont le symbole de l’âge d’or de Nice, et montrent, une fois de plus, la touche « british » de la ville. En témoignent les séjours de la Reine Victoria, dont l’arrivée se fait toujours en grande pompe, raconte le quotidien Gil Blas du 13 mars 1899 : « Depuis ce matin, de nombreux drapeaux anglais et français étaient arborés aux fenêtres. Plusieurs grands commerçants avaient pavoisé leur devanture avec un goût vraiment remarquable. »
Américains, bronzage et congés payés
Au sortir de la Grande Guerre, l’activité peine à se relancer. Les Anglais ont subi une dévaluation de la Livre sterling. Quelques nobles russes ayant tout perdu dans la révolution de 1917 reviennent sans fortune. Et les Allemands, Autrichiens et Hongrois, battus et appauvris, se font discrets. Mais Nice s’apprête à recevoir deux nouvelles vagues.
« C’est un petit miracle : les Américains, entrés tardivement dans le conflit, sont restés en Europe et ont entendu parler de Nice », explique François Lequièze. Adeptes de la baignade et du bronzage, ils vont changer le visage du tourisme niçois. Yvan Gastaut l’atteste : « Avant leur arrivée, ce n’était pas dans les coutumes de se baigner, ni même de s’exposer au soleil. » Une tendance décrite avec une certaine retenue dans La Croix le 22 août 1928 : « La mode, […] pour beaucoup de femmes et pour certains hommes, consiste à montrer un épiderme bronzé et aussi cuit que possible par le soleil. [… ] Le comique de la situation en pallie plus ou moins l’indécence. »
Le tourisme d’été gagne donc la cité azuréenne, pour ne plus jamais la quitter. La crise de 1929 passée, arrive 1936, avec le Front populaire qui met en place les congés payés, permettant aux classes moins favorisées de partir en vacances. René Roy, dans le journal Ce soir du 5 août 1938, raconte le bonheur de ces nouveaux vacanciers qui vont partir pour la Côte d’Azur : « Dans les usines, […], on se croirait dans le réfectoire d’un régiment. […] Se mêlent des chants joyeux et les plaisanteries de ceux qui partent : "- Est-ce que tu crois que le smoking est obligatoire sur la Promenade des Anglais ? – lls seront tant sur la Côte d’Azur qu’il faudra les empiler les uns sur les autres" ».
Une joie simple que l’on retrouve sur cette photo du concours de la plus jolie baigneuse, dans l’Excelsior du 7 juillet 1936.
La foule arrive pour des séjours collectifs et via la location de petits appartements. Un tourisme de classe qui changera définitivement, en partie, le visage de Nice. A en croire Pierre Rocher, dans L’Œuvre, en août 1938, « ce n’est plus une foule, c’est de la cohue. Ce n’est plus de l’embouteillage, c’est de l’offensive. Une offensive où les troupes de choc sont composées de gens en caleçons de bain, lesquels prennent d’assaut les hôtels, les restaurants, les casinos, […] ». Un commentaire qui, encore aujourd’hui concernant la Côté d’Azur, n’a pas pris une ride.