Marseille pour les nuls (1/10): Pourquoi la bouillabaisse est-elle si chère?
MARSEILLE POUR LES NULS (1/10)•Il faut dépenser jusqu'à 50 euros pour une assiette de bouillabaisse à Marseille. Effet de mode ? Snobisme ? Ou tout simplement la conséquence d'une raréfaction des poissons en mer Méditerranée ?Jean Saint-Marc
L'essentiel
- La rédaction marseillaise de 20 Minutes répond, tout au long de cet été 2019, aux grandes questions que les touristes se posent en arrivant à Marseille.
- Beaucoup d’entre eux veulent déguster la fameuse bouillabaisse… Mais à 40 ou 50 euros l’assiette, peu peuvent se le permettre.
- Ces prix très élevés s’expliquent par la difficulté de pêcher des poissons de roche, de plus en plus rares en Méditerranée.
Ils cherchent l’ombre et la Bonne-Mère, s’entassent par centaines dans le petit train sur le Vieux-Port et se posent des dizaines de questions. Chaque année, sept millions de touristes visitent Marseille, selon un comptage, optimiste, de la mairie. Tout au long de cet été 2019, la rédaction marseillaise leur simplifie la vie, en répondant à quelques interrogations, majeures ou anecdotiques. On commence par la pièce de résistance : pourquoi la bouillabaisse est-elle si chère ?
« Cinq euros les fiélas, huit euros les merlans… A ce prix-là, c’est donné ! » On fait en général de bonnes affaires avec les pêcheurs du Vieux-Port. Mais n’allez pas leur demander où déguster une bonne bouillabaisse sans vous ruiner. « Hé non, mon beau, il faut mettre le prix ! La bouillabaisse, ça ne vaut rien à moins de 50 euros », lance la célèbre Nana, star du Vieux-Port du haut de ses 90 ans, dont 70 à vendre rascasses et baudroies fraîchement pêchées.
Nana refuse que les touristes la prennent en photo – avec son tablier à carreaux et sa grande gueule, elle est si typique. Mais elle nous explique volontiers pourquoi une assiette de bouillabaisse coûte au minimum 40 euros, et souvent 50, voire plus… Le record étant pour le triplé étoilé Gérald Passédat, avec un menu « ma bouille abaisse » à 220 euros. Ce qui fait quand même un peu cher pour un soi-disant « plat du pauvre » jadis concocté par les pêcheurs avec les poissons invendus. Nana décrypte :
« «C’est devenu très cher, le poisson frais. Pour la bouillabaisse, il faut des poissons de luxe, comme la rascasse, le chapon ou la baudroie (lotte), qu’on vend à 25 euros le kilo… Et les poissons de roche sont rares et difficiles à pêcher. De plus en plus rares, d’ailleurs… » »
« Tu abîmes tes filets quand tu pêches dans la roche, tu galères et tout ça, ça se paye », embraye Patrick, depuis le stand voisin. Sur son bateau, amarré derrière lui, un pêcheur aux tempes grisonnantes s'use les yeux en décrochant de minuscules poissons coincés dans les mailles d’un immense filet. « Tu vois le temps que ça prend », conclut Patrick, qui vend les poissons pour la bouillabaisse entre 20 et 25 euros le kilo.
« De moins en moins de poissons en Méditerranée »
C’est le même tarif chez Véronique. Cette poissonnière estime que si la bouillabaisse est si chère, c’est parce que « les restaurateurs prennent de belles marges, comme c’est un plat typique, pour touristes ! » Gabrielle Galligani, patronne du Rhul et présidente de la Charte de la bouillabaisse, défend sa corporation : « Le poisson est devenu très cher, car il y a de moins de moins de poissons en mer Méditerranée. Il y a aussi de moins en moins de pêcheurs, et le carburant a beaucoup augmenté. »
Gabrielle Galligani se souvient d’une époque où « les poissonnières donnaient le merlan pour les chats des clients ! » Aujourd’hui, même ce poisson peu noble vaut huit ou dix euros le kilo. Les prix du poisson ont flambé, ceux du safran aussi. L’épice, indispensable pour la rouille (la sauce) et le bouillon, se négocie entre 30 et 40.000 euros le kilo.
Des poissons « très fragiles »
« La main-d’œuvre qualifiée se paye aussi, reprend Gabrielle Galligani. Nous servons la bouillabaisse en trois temps, avec une découpe devant les clients, et le bouillon et la rouille sont à volonté. » Sa bouillabaisse coûte 58 euros par personne, ce qui, assure-t-elle, la « classe parmi les raisonnables. »
N’y aurait-il pas là un certain snobisme ? Un effet de mode ? Une arnaque pour touristes ? Pas du tout, nous jure l’ancienne critique gastronomique Patricia Alexandre, ex-directrice de Gault et Millau : « Le coût d’une bouillabaisse pour un restaurateur est réellement très élevé. C’est un plat qui nécessite un approvisionnement très qualitatif, avec des produits très fragiles ! »
Patricia Alexandre, qui a dégusté des dizaines de bouillabaisses pour un numéro de l’émission Capital, en 2008, confirme donc la fourchette évoquée par l’inénarrable Nana : il faut débourser au minimum 45 ou 50 euros pour se régaler. « Et dites bien à vos lecteurs de se méfier des gougnafiers qui font des menus bouillabaisse à 25 euros, conclut-elle. Une soupe en boîte, des poissons surgelés… Tout ce que vous risquez, c’est de tomber malade ! »