«Frères et sœurs de pouvoir»: «Quand on a un frère ou une sœur connu, on n’est plus regardé pour soi-même»
INTERVIEW•Dans «Frères et sœurs de pouvoir» qui paraît ce mardi, Katia Chapoutier a mené une enquête sur les fratries célèbres
Propos recueillis par Delphine Bancaud
L'essentiel
- La notoriété d’un frère ou d’une sœur est bien acceptée si l’on s’est réalisé professionnellement ailleurs.
- Mais cela signifie aussi être condamné à être approché par des gens par intérêt.
- La notoriété d’une sœur ou d’un frère peut également être, dans certains cas, un facteur d’émulation.
Ils s’aiment, se stimulent, sont rivaux… Les frères et sœurs ont des rapports complexes et intenses qui évoluent à travers le temps. Dans Frères et sœurs de pouvoir, qui sort ce mardi en librairie, Katia Chapoutier a enquêté sur 15 fratries composées de célébrités et d’anonymes. Et bien souvent, la notoriété d’un membre de la fratrie cause des remous. 20 Minutes a interrogé l’auteure de cette galerie de portraits passionnante.
Comment exister à côté d’une sœur ou d’un frère célèbre ?
Certains y parviennent très bien. La lumière d’un frère ou d’une sœur est bien acceptée à partir du moment où l’on a trouvé son épanouissement ailleurs. Comme Catherine, sœur de Patrick et Olivier Poivre d’Arvor. Elle suit avec intérêt la carrière de ses frères, mais son intérêt est ailleurs. Elle aide discrètement les plus démunis par le biais d’associations, et cette part d’ombre lui va bien. Et elle est un trait d’union entre ses deux frères. Marianne, la sœur de Julien Clerc et de Gérard Leclerc, s’est aussi réalisée dans son métier d’assistante sociale. Ce qui ne l’empêche pas de collectionner les articles sur ses deux frères illustres.
Et dans plusieurs portraits, les personnes connues semblent souvent rassurées par un frère ou une sœur restée dans l’anonymat…
Oui, car lorsque l’on est célèbre, les seules personnes qui sont toujours vraies avec soi sont les frères et sœurs. Ils ramènent à la réalité et constituent de vrais points d’ancrage, qui aident à garder la tête froide.
Certains membres de ces fratries ont-ils souffert du succès de leur sœur ou de leur frère ?
Oui, car la notoriété de l’un peut éclipser l’autre. Quand on a un frère ou une sœur connu, on n’est plus regardé pour soi-même. Avoir un frère ou une sœur connue, c’est être condamné à être approché par des gens par intérêt, à répondre à des questions indiscrètes… Olivier Poivre d’Arvor a ainsi un peu souffert quand son frère est devenu présentateur du journal télévisé. Car on le ramenait toujours à son grand frère. La sœur de Nathalie Kosciusko-Morizet, Caroline, a subi aussi la fascination de certains pour sa sœur, d’autant que celle-ci était très discrète sur sa vie privée. Du coup, elle a pris la décision de porter le nom de son mari pour avoir la paix. La notoriété d’un frère peut aussi constituer un frein professionnel : Bernard Attali, tout aussi brillant que son frère, s’est retrouvé entravé plusieurs fois dans sa carrière en raison de la proximité de Jacques avec François Mitterrand. Plusieurs postes lui ont échappé par crainte de donner l’impression de favoritisme. Et Dominique Léotard n’a pas réussi à trouver son identité entre François et Philippe.
Les médias ont-ils souvent tendance à opposer ces fratries ?
Oui, ce fut le cas pour Carla Bruni et sa sœur Valéria, toutes les deux belles et intelligentes. Les journalistes n’ont de cesse de les interroger sur leurs relations et de souligner leurs différences. Idem pour Frédéric et Charles Beigbeder. Les médias se délectent de leurs différences, l’un catholique rangé et père de famille, l’autre provocateur, avec une vie sentimentale plus complexe. Mais ces contrastes soulignés par les médias ne provoquent pas de remous entre eux. Charles Beigbeder parle des écarts de son frère avec bienveillance. Idem entre Philippe et François Léotard. Lorsque ce dernier était ministre de la Défense, les agissements parfois hors norme de son frère auraient pu le mettre en difficulté. Mais il l’a toujours défendu en public et a même tenté de le protéger au maximum. Car ces deux-là entretenaient un rapport presque gémellaire. La mort de Philippe a d’ailleurs enclenché la fin de la vie politique de son frère.
L’émulation entre frères et sœurs a-t-elle permis à certaines personnes de développer des talents particuliers ?
Oui, chez les Khan, par exemple. La réussite de Jean-François a été de pair avec ses frères, Olivier et Axel. Idem pour les jumeaux Proglio ou pour les frères Olivennes, comme si la réussite de l’un avait inspiré les autres.
Certaines personnalités se sont-elles construites en opposition avec un frère ou une sœur ?
Oui, c’est le cas pour Frédéric et Charles Beigbeder. Dans son ouvrage Un roman français, Frédéric a d’ailleurs écrit : « Il me semble que tous mes actes, depuis toujours, sont dictés par mon aîné. (…) Charles est imbattable, il est l’homme parfait. Il ne m’a donc laissé qu’une option : être l’homme imparfait ».
Quels exemples de solidarité fraternelle vous ont le plus ému ?
Les sœurs Fragonard, qui, malgré les difficultés rencontrées, se sont donné la main pour diriger la Maison Fragonard. Ou l’histoire des sœurs Poîlane, qui se sont retrouvées orphelines à 16 et 18 ans et ont su prendre soin l’une de l’autre. Autre histoire touchante : quand Catherine Poivre d’Arvor a subi un accident et que ses frères ont volé à son secours, chacun à sa manière.
Et parfois, c’est un drame qui a soudé ces fratries…
Oui, comme dans la fratrie Kosciusko-Morizet, lorsque l’un des frères s’est suicidé. Pour les Attali, ce fut le déracinement d’Algérie qui a renforcé les liens. Chez les Khan, le suicide du père a aussi soudé la fratrie. Chez les Léotard, c’est surtout le fait que la mère n’avait pas réellement désiré ses enfants qui les a unis. C’est cette blessure secrète.