TRIBUComment vivent les familles nombreuses aujourd'hui?

Quel est le quotidien des familles nombreuses aujourd'hui?

TRIBUDans une étude, l’Union nationale des associations familiales (Unaf) brosse le portrait de ces familles d’au moins trois enfants
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

L'essentiel

  • Selon une étude de l’Unaf parue cette semaine, 62 % des familles nombreuses ont le sentiment que le regard de la société à leur égard n’est pas bienveillant.
  • Et leur vie quotidienne n’est pas toujours facile, car 58 % d’entre elles évoquent des problèmes financiers.
  • D’où leur demande que les politiques publiques en leur direction soient revalorisées.

Un enfant sur trois vit aujourd’hui dans une famille nombreuse (d’au moins trois enfants), selon l’Insee. Et pourtant, on entend assez peu parler de ces tribus et elles ont été très peu évoquées durant le grand débat national. D’où l’idée de l’Unaf (Union nationale des associations familiales) de les interroger dans une étude* parue ce lundi, qui brosse un tableau exhaustif de ces familles nombreuses, qui sont loin d’être marginales. Car les recompositions familiales les font prospérer ces dernières années : une famille nombreuse sur six est d’ailleurs une famille recomposée.

Si la proportion de familles de quatre enfants et plus diminue, celle de familles de trois enfants se maintient. Et avoir trois enfants ou plus correspond à une aspiration chez plus d’un Français sur trois. « Le fait de fonder une famille nombreuse est un vrai choix, qui n’est motivé par une conception religieuse que dans 12 % des cas. C’est davantage une envie d’épanouissement familial, de partage, de développer la solidarité dans la fratrie », observe Guillemette Leneveu, directrice générale de l’UNAF.

Les familles nombreuses accusées de profiter du système solidaire

Si les deux tiers de ces familles sont très satisfaites de leur vie et acceptent les contraintes matérielles et sur le travail que cela entraîne, elles ont majoritairement le sentiment d’être en décalage avec la société : « En effet, 62 % d’entre elles ont le sentiment que le regard de la société à leur égard n’est pas bienveillant. Car beaucoup d’idées reçues courent sur elles. Elles sont vues comme un poids pour la société, car elles touchent davantage d’allocations familiales que les familles de deux enfants. Et certains Français refusent même que la solidarité nationale soutienne le choix de ces familles. Elles subissent la norme dominante de la famille avec deux enfants, donc on leur reproche leur caractère parfois « encombrant » ou « bruyant » », note Guillemette Leneveu. Les parents font aussi face à des critiques sur leur modèle éducatif, car on leur renvoie souvent l’idée qu’ils ne peuvent pas bien élever autant d’enfants.

Et leur vie quotidienne n’est pas toujours facile, car 58 % d’entre elles évoquent des problèmes financiers (73 % chez les familles ayant quatre enfants). Les points de tension principaux concernent les séjours en vacances, mais aussi la restauration scolaire, les frais d’études supérieures, l’alimentation et l’habillement : des postes de dépenses pour lesquels ces familles ne bénéficient pas d’économies d’échelle.

Une activité professionnelle souvent réduite ou suspendue pour les mères

Pour s’en tirer, ces familles ont développé des stratégies au quotidien : « La débrouille est leur maître mot. Elles consomment de manière plus raisonnée et font des économies sur le budget loisirs et vacances », constate Guillemette Leneveu. Elles sollicitent leur entourage pour la garde des enfants et leur accueil pendant les vacances.

Mais ce n’est pas le seul hic : 39 % évoquent une difficulté à concilier vie professionnelle et vie personnelle. Une contrainte davantage citée par les parents cadres (61 %) « C’est comme si les parents de ces familles avaient intégré de facto qu’ils devaient diminuer leur activité professionnelle, voire l’arrêter. Surtout les mères », souligne Guillemette Leneveu. D’ailleurs, 54 % des parents de trois enfants et plus qui ont répondu à l’étude expliquent qu’ils ont réduit leur activité professionnelle. L’organisation des vacances est aussi un vrai casse-tête pour les parents. Ils se plaignent également souvent de ne pas pouvoir accompagner scolairement chacun de leur enfant comme il le faudrait (évoqué par 29 % des répondants).

Les politiques familiales moins soutenantes ces dernières années

Des difficultés qui ont eu tendance à se creuser ces dix dernières années : une proportion importante des familles de trois enfants (35 %) et quatre enfants et plus (39 %) se sentent moins soutenues qu’auparavant par les politiques publiques. « Plusieurs mesures les ont affectées, comme les baisses du plafond du quotient familial fiscal, la modulation des allocations familiales, les coups de rabot sur la Prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) et la réduction des tarifs préférentiels sur certains services publics (cantines, activités périscolaires) », cite Guillemette Leneveu.

Pour que leurs fins de mois soient moins difficiles à boucler, ces familles, tout comme l’Unaf, estiment qu’il serait nécessaire d’améliorer les politiques publiques en leur direction : « En indexant les prestations familiales sur le coût de la vie, en prévoyant des tarifications locales (cantines, transports scolaires, loisirs) tenant compte de la taille de la famille, en revalorisant l’indemnité du congé parental et en développant les modes de garde », énumère Guillemette Leneveu. Des mesures qui ne font pas partie de celles annoncées après le grand débat…

*Via l’Observatoire des familles de l’UNAF, réalisé en partenariat avec la CNAF, un questionnaire a été envoyé en 2017 à des échantillons représentatifs de familles : près de 32.000 familles ont répondu, dont deux tiers de familles nombreuses.