Rapport annuel de la CNCDH: Les Français sont plus tolérants, mais les actes racistes et antisémites sont en hausse
RACISME•Selon le rapport annuel de la Commission consultative nationale des droits de l’homme (CNCDH) sur la lutte contre le racisme publié ce mardi, les Roms constituent la minorité la plus mal perçue en FranceAnissa Boumediene
L'essentiel
- La Commission consultative nationale des droits de l’homme publie ce mardi son rapport annuel sur la lutte contre le racisme.
- Le document révèle que les Français sont plus tolérants que jamais et fermement opposés au racisme, à l’antisémitisme et aux discriminations.
- Dans le même temps, les actes antisémites ont progressé et la communauté Rom est stigmatisée.
- La CNCDH s’inquiète par ailleurs, dans son rapport, de la sous-déclaration constante des actes racistes.
Peut mieux faire. Voici ce qui ressort à la lecture du rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) sur la lutte contre le racisme publié ce mardi, qui dresse un état de lieux du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie en France. Si les Français semblent plus tolérants que jamais, certains restent bien ancrés dans leurs préjugés à l’encontre de certaines communautés et encore prêts à commettre des actes racistes ou antisémites. Selon le document, les Roms représentent la minorité la plus mal perçue dans le pays. Et globalement, de nombreuses victimes d’actes racistes n’osent toujours pas porter plainte aujourd’hui en France.
Les Français plus tolérants que jamais
C’est la bonne nouvelle de ce rapport : jamais l’indice de tolérance n’a été aussi élevé, puisqu’il atteint 67 points (sur 100). « La CNCDH ne peut que s’en réjouir, d’autant plus que cette tolérance s’accroît en particulier parmi les jeunes générations », communique l’instance indépendante. « Cette année, l’indice de tolérance est le plus élevé jamais enregistré depuis sa création, en 1990, explique Vincent Tiberj, professeur des universités à Sciences Po Bordeaux, coauteur du rapport et créateur de cet indice longitudinal de tolérance. Cela s’explique par des facteurs de long terme : plus on a fait d’études, et moins on est raciste. Et aujourd’hui, l’opinion française est plus éduquée qu’en 1990. On observe que plus on est né récemment et moins on est raciste, poursuit le sociologue. Ainsi, les jeunes d’aujourd’hui seront demain des adultes moins racistes que les adultes d’aujourd’hui ».
En revanche, des effets de court terme peuvent troubler cette tendance croissante à la tolérance. « Cela dépend de la couleur politique du gouvernement, du climat médiatique et du discours politique ambiant, souligne Vincent Tiberj. Si des politiques déclarent en masse que l’islam est problématique en France, cela infuse certains esprits et peut entraîner une hausse des actes antimusulmans. Le bruit médiatique, le contexte politique et la prise de parole publique : tout cela a un impact sur la tolérance ». A l’inverse, « après les attentats de 2015, le discours ambiant a favorisé la tolérance », rappelle le coauteur du rapport. « Les paroles qui ont été prononcées après les attentats par différents responsables politiques, sociaux et religieux, et le fait qu’une fraction de la communauté maghrébine s’exprime très fortement en faveur des valeurs de la République, cela a favorisé le rapprochement, a commenté Jean-Marie Delarue, directeur de la CNCDH. Les événements de ce type font naître l’envie d’union, même si ça ne se concrétise pas forcément ensuite ».
Mais les Roms largement stigmatisés
Si les Français ont été globalement plus tolérants en 2018, ils ne le sont pas nécessairement à l’égard des Roms, qui sont aujourd’hui largement stigmatisés. L’indice de tolérance à l’égard de cette communauté n’est que de 35 points, précise la CNCDH dans son rapport, ce qui en fait la population la plus « mal tolérée ». Non seulement les Roms restent très majoritairement perçus comme « formant un groupe à part dans la société » (68 %), mais une majorité de Français pense que cette mauvaise intégration est la faute des Roms. Ainsi, 52 % des sondés pensent que les Roms « ne veulent pas s’intégrer en France », qu’ils contribuent à l’insécurité et qu’ils « vivent essentiellement de vols et de trafics », peut-on lire dans le rapport.
« La communauté Rom manque de défenseurs dans la parole publique et souffre d’un manque d’empathie de la part de la société », note Vincent Tiberj. Un constat qui s’inscrit dans l’actualité récente. Fin mars, des expéditions punitives avaient été organisées à l’encontre de membres de cette communauté après que des rumeurs parlant d’enlèvements d’enfants par des Roms à bord de camionnettes blanches ont été largement relayées sur les réseaux sociaux. Les rumeurs n’avaient aucun fondement, mais plusieurs Roms avaient été agressés en région parisienne à cette occasion.
Des actes antisémites en hausse et des préjugés antijuifs tenaces
Autre enseignement de ce rapport, les actes antisémites sont en hausse de plus de 70 % sur un an, apprend-on, avec en 2018 pas moins de 541 faits antisémites, alors qu’ils étaient en baisse ces dernières années. Ont ainsi été recensées 358 menaces et 183 actions antisémites (dont 102 atteintes aux biens et 81 atteintes aux personnes). Soit trois fois plus d’actions antisémites qu’en 2017.
En outre, les préjugés antijuifs restent tenaces : 20 % des Français jugent que « les juifs ont trop de pouvoir en France » et 36 % que « les juifs ont un rapport particulier à l’argent ».
L’Islam mal perçu, mais les musulmans bénéficient d’une meilleure image
L’édition 2018 du rapport de la CNCDH observe que les musulmans bénéficient d’une meilleure image : 81 % des sondés estiment qu’« il faut permettre aux musulmans de France d’exercer leur religion dans de bonnes conditions ». Mais comme l’instance l’avait déjà observé dans son rapport 2017, « l’islam reste une source de tensions très vives dans une partie de la société ». Ainsi, plus de quatre sondés sur dix (44 %) pensent que « l’islam est une menace pour l’identité de la France ». Et certaines pratiques religieuses musulmanes (port du voile, non-consommation d’alcool et de porc) sont jugées « difficilement compatibles avec la France ». En atteste la récente polémique sur le hijab de running commercialisé par Décathlon, ensuite retiré de la vente. « Pour une frange de l’opinion, une femme voilée est soupçonnée soit de prosélytisme, soit d’être sous domination masculine, expose le sociologue Vincent Tiberj. Le voile continue à cristalliser le rapport à la diversité et au multiculturalisme ».
Pour Nonna Mayer, directrice de recherche émérite au CNRS, qui a analysé les données présentées dans ce rapport, « ceux qui ont une aversion à l’égard d’un certain nombre de pratiques de l’islam, contrairement à ce qu’ils disent, ce n’est pas au nom de la défense des femmes, des gays, de la laïcité, c’est exactement l’inverse : plus on est hostile à l’islam, plus on est hostile aux femmes, aux gays, etc. ».
Les actes racistes sous-déclarés
Enfin, la CNCDH s’inquiète dans son rapport 2018 de la sous-déclaration constante des actes racistes. « 1,1 million de personnes se disent victimes chaque année de menaces, de violences ou de discriminations à caractère raciste, des chiffres très loin du nombre de plaintes déposées », déplore Vincent Tiberj. En 2017, « plus de 6.000 affaires racistes ont été traitées par les parquets, ayant abouti pour 9 % seulement d’entre elles à une condamnation », rappelle la CNCDH. Pour son président Jean-Marie Delarue, « une action résolue et prolongée des pouvoirs publics doit favoriser la disparition des préjugés. Le racisme met à mal notre vivre ensemble ».
Comment expliquer et enrayer ce phénomène de sous-déclaration ? « Certaines victimes redoutent l’accueil qui leur sera réservé si elles se rendent au commissariat pour porter plainte, et cette crainte les décourage de le faire », regrette Vincent Tiberj. En pratique, la CNCDH recommande « la formation des agents qui recueillent les plaintes des victimes d’actes racistes, poursuit le coauteur de l’étude. Cela permettrait de restaurer la confiance des victimes envers les institutions et d’en finir avec ce "chiffre noir" : c’est-à-dire ces actes délictueux qui échappent totalement au radar de la justice ».