ENQUÊTE«On continue à fabriquer des victimes» de l'amiante

Scandale de l'amiante: «On continue à fabriquer des victimes» avec le vin, les jouets et autres produits contaminés

ENQUÊTELe journaliste Roger Lenglet alerte sur l’augmentation du nombre de malades de l’amiante, et pointe du doigt l’inaction des dirigeants depuis plus de 20 ans
Scandale de l'amiante: Les boissons, le vin, les jouets contaminés sont «un énorme tabou»
Emilie Petit

Emilie Petit

L'essentiel

  • Un rapport de l’agence nationale Santé publique France, publié le 27 juin, pointe du doigt l’augmentation du nombre de cancers de la plèvre, appelé aussi « maladie de l’amiante ».
  • Dans son enquête Le livre noir de l’amiante, le journaliste Roger Lenglet pointe du doigt l’inaction des gouvernements successifs depuis le décret de 1997 interdisant « l’utilisation, la fabrication, la transformation, la vente, l’importation, la mise sur le marché national et la cession de toutes variétés de fibres d’amiante et de tout produit en contenant ».
  • Malgré la reconnaissance en maladie professionnelle de pathologies liées à l’amiante, aucun procès pénal n’a encore jamais eu lieu.

C’est un véritable fléau. Enquêtes, procès, décrets, rapports : les fibres amiantiques alimentent, depuis plusieurs décennies, les gros titres des journaux et font s’époumoner les lanceurs d’alerte. Dernier signalement en date : le rapport de l'agence nationale Santé publique France, publié le 27 juin, pointant du doigt l'augmentation du nombre de cancers de la plèvre, appelé aussi « maladie de l’amiante ».

Depuis les années 1990, le scandale lié à l'amiante ne cesse de refaire surface. Tandis que les victimes semblent de plus en plus nombreuses. « La prise de conscience s’est faite dès les années 1970. Imaginez un peu le temps que ça prend ! » : Roger Lenglet fait partie de ceux qui, dès 1996, ont sorti le gyrophare pour alerter les pouvoirs publics sur les risques sanitaires liés à l'utilisation de l'amiante.

Dans son enquête Le livre noir de l’amiante, le journaliste pointe du doigt l’inaction des gouvernements successifs depuis le décret de 1997 interdisant « l’utilisation, la fabrication, la transformation, la vente, l’importation, la mise sur le marché national et la cession de toutes variétés de fibres d’amiante et de tout produit en contenant ». Car, malgré la reconnaissance en maladie professionnelle de pathologies liées à l’amiante, aucun procès pénal n’a encore jamais eu lieu.

Des milliers de morts « et on continue à fabriquer des victimes »

Pourtant, les chiffres donnent le vertige. L’amiante serait responsable d’environ 3.000 morts par an, en France. Soit 8 à 10 personnes par jour. Dans le monde, il s’agirait d’environ 107.000 personnes par an, selon l'OMS. Car, bien que l’interdiction de se servir de fibres amiantiques a été instaurée il y a 20 ans, la non-exposition à des poussières n’est pas garantie.

Selon une enquête menée en 2016 par l'Agence européenne des produits chimiques, 14 % des produits qui passent les frontières des pays européens contiendraient de l’amiante. « On continue à fabriquer des victimes en exposant des gens par indifférence, par déni et pour laisser tranquille des lobbys qui continuent à vivre sur des produits amiantés qui passent les frontières françaises et celles des pays de l’Union Européenne », affirme Roger Lenglet.

Des mesures en suspens, des contrôles trop « faibles »

Alors, pour tenter de limiter les dégâts, l’agence européenne de sécurité alimentaire contre les risques chimiques a alerté, en 2018, l’ensemble des douaniers du territoire européen sur ces articles « contaminés ». Et de dégainer sa nouvelle arme anti-amiante: Rapex. Une base de données ayant pour fonction de répertorier les articles non alimentaires qui contiendraient de l’amiante.

Autre cause, selon Roger Lenglet : des contrôles « très faibles, y compris dans les milieux professionnels ». Une véritable aberration pour le journaliste qui rappelle que « l’amiante est la première cause de décès dus aux maladies professionnelles reconnues et représente la deuxième cause de pathologies liées au travail après les troubles musculosquelettiques.

A quand un grand procès national ?

Si l’interdiction mondiale n’est aujourd’hui, pas encore d’actualité, elle serait, selon Roger Lenglet, la condition sine qua non à un recul significatif du nombre de morts dus à l’amiante. « On parle aujourd’hui de 50.000 morts entre 1996 et 2016. Et il s’en ajoutera probablement autant au cours des deux décennies qui viennent, sauf si l’on assiste à une importante diminution des importations de fibres en France », assure-t-il.

Pour l’heure, un grand procès national, instruit depuis plus de 20 ans, est toujours en attente. 50.000 procès ont néanmoins déjà été gagnés au civil, sanctionnant des entrepreneurs notamment, pour leur manque de clairvoyance et leur inaction. Mais pour Roger Lenglet, cela reste insuffisant. Il le martèle : le seul moyen d’éradiquer « le mal amiantique » est « un procès contre les grands responsables nationaux ».