Saint-Malo: Dans l’intra-muros, les habitants en ont ras le bol d’Airbnb
REPORTAGE•Les habitants de Saint-Malo se plaignent notamment des nuisances causées par les touristes utilisant le site de location AirbnbManuel Pavard
L'essentiel
- Les habitants de l’intra-muros à Saint-Malo expriment leur ras-le-bol contre Airbnb. Depuis l’arrivée de la LGV jusqu’à la cité corsaire, le site de location de logement y connaît un succès croissant.
- Ils dénoncent les nuisances causées par les touristes louant via Airbnb tandis que les hôteliers pointent une concurrence déloyale.
- Les locaux demandent à la mairie de prendre des mesures pour encadrer le phénomène.
De notre envoyé spécial à Saint-Malo,
Etudiants, Jérémy, Adèle, Enzo et Léa profitent des vacances de Pâques pour s’offrir une escapade à Saint-Malo. En cherchant leur hébergement, les quatre amis ont naturellement opté pour Airbnb : 88 euros par nuit – soit 22 euros par personne – pour un appartement avec deux chambres intra-muros. Un « tarif imbattable », assurent-ils, pour leur « petit budget ». Mais si la plateforme de location de logements entre particuliers fait le bonheur des touristes, c’est moins le cas des Malouins, en particulier dans l’intra-muros.
Depuis l’arrivée de la LGV - qui met Saint-Malo à 2h15 de Paris – en 2017, le phénomène Airbnb a en effet pris une nouvelle ampleur dans la cité corsaire. « Aujourd’hui, il doit y avoir près de 3.000 annonces d’Airbnb sur Saint-Malo », s’exclame Patrick Jamet, gérant de l’hôtel San Pedro, qui pointe « un changement très net depuis deux-trois ans ». Il dénonce « une concurrence déloyale qui fait du tort à tous les hôteliers. On ne lutte pas à armes égales : on est soumis à un certain nombre de normes réglementaires et fiscales, des contraintes que n’ont pas les loueurs Airbnb ».
« J’ai l’impression de vivre dans un hôtel »
Créé à l’origine comme une plateforme communautaire basée sur l’échange, Airbnb est devenu progressivement « un business », déplore Patrick Jamet. Des investisseurs achètent ainsi des appartements dans l’intra-muros pour ne faire que de la location Airbnb, profitant notamment des créations de logements lancées par la municipalité ces dernières années afin d’enrayer le déclin démographique de Saint-Malo.
Mais le principal grief formulé par les habitants, ce sont les nuisances causées par les utilisateurs du site. « Aujourd’hui, on se retrouve avec des immeubles où la majorité des logements sont du Airbnb », tacle Florian Bigaud, président de l’association de quartier Intra-Malo. Le cas de Véronique Deschamps en est la parfaite illustration. Il y a trois ans, l’un des trois appartements de la maison où elle vit depuis 1993, dans l’intra-muros, s’est transformé en « logement Airbnb » exclusif. Depuis, cette coiffeuse « vit un enfer ».
Selon elle, les deux propriétaires successifs la « méprisent » et « ignorent [ses] plaintes ». « J’ai l’impression de vivre dans un hôtel avec des allées et venues matin et soir », s’insurge-t-elle, égrenant la liste des nuisances : « le bruit durant la nuit, les draps et bagages déposés sur mon palier, les poubelles laissées par les locataires et que je dois vider moi-même, les gens qui viennent sonner à ma porte… »
Un cercle vicieux
Véronique Deschamps a donc pris la tête de la fronde anti-Airbnb. Elle a entamé une procédure judiciaire à l’encontre de la propriétaire et s’est rapprochée d’autres Malouins victimes du même phénomène, avant d’envoyer un courrier au maire. « Le problème, explique Florian Bigaud, c’est que la mairie ne fait rien pour maintenir des habitants à l’année ici. » Il évoque un cercle vicieux : « On a de gros soucis de stationnement dans l’intra-muros et donc de moins en moins d’habitants car lorsqu’on doit tourner durant 1h30 l’été pour se garer près de chez soi, on finit par se poser la question du déménagement. »
Conséquence ? Le départ des Malouins « libère des logements vacants » dont profitent les loueurs Airbnb. Interpellée de toutes parts, la ville de Saint-Malo a obtenu en juin 2018 son classement en « zone tendue », qui devrait lui permettre d’initier un projet de réglementation. Un cabinet spécialisé a été mandaté pour faire des propositions aux élus et le conseil municipal devrait se prononcer sur ce règlement au second trimestre 2019.
« On veut conserver cette vie de village »
« On ne veut pas stopper le phénomène car il peut profiter au tourisme local mais il ne faut pas qu’on se laisse déborder, indique Patrick Charpy, adjoint à l’urbanisme et au logement. Nous allons apporter quelques contraintes réglementaires pour surveiller que le plafond de nuitées ne soit pas dépassé par exemple ».
En attendant, Véronique Deschamps est à bout, au point d’envisager un déménagement qu’elle n’aurait jamais imaginé. « On veut conserver cette vie de village qu’on a toujours eue dans l’intra-muros mais on ne veut pas de la "Mont Saint-Michélisation" de Saint-Malo. Là, ce n’est plus possible, ça devient une réelle souffrance », souligne-t-elle, avant d’ironiser : « Le slogan d’Airbnb, c’est "Soyez partout chez vous". Mais nous, les Malouins, nous ne sommes même plus chez nous aujourd’hui ! »