Incendie à Notre-Dame de Paris: Les travaux peuvent-ils vraiment être réalisés en cinq ans?
CHANTIER•Après l’incendie qui a réduit en cendres la toiture, l’ensemble de la charpente, une partie de la voûte et la flèche de la cathédrale Notre-Dame, les premières questions autour de la reconstruction se posent déjàManon Aublanc
L'essentiel
- Lundi soir, un incendie s’est déclaré dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, ravageant la toiture, la charpente, une partie de la voûte et la flèche de l'édifice.
- Une enquête a été ouverte pour « destruction involontaire par incendie » et confiée à la police judiciaire parisienne.
- En moins de 48 heures, près d’un milliard de dons ont déjà afflué du monde entier pour financer la rénovation de l’édifice.
- Mardi soir, lors de son allocution, Emmanuel Macron a déclaré que les travaux seraient achevés « d’ici cinq ans ». Un délai ambitieux, selon les experts, qui estiment que la reconstruction pourrait prendre une ou plusieurs décennies.
Emmanuel Macron a-t-il été un peu trop ambitieux ? Deux jours après l'incendie qui a ravagé la cathédrale Notre-Dame de Paris, la question de la reconstruction est déjà lancée. Si le président de la République a déclaré que les travaux seraient achevés «d'ici cinq ans», du côté des experts, on est plutôt sceptique.
« Nous rebâtirons la cathédrale plus belle encore et je veux que ce soit achevé d’ici cinq années », a annoncé le président de la République, mardi soir. Mais les dégâts sont considérables : l’incendie a réduit en cendres une partie de la toiture, l’ensemble de la charpente, une partie de la voûte et la flèche. Selon les spécialistes, les travaux de reconstruction devraient plutôt s’étendre sur une ou plusieurs décennies. 20 Minutes fait le point avec trois d’entre eux.
Quelles sont les parties détruites qui doivent être reconstruites ?
S’il faut désormais reconstruire la charpente, les voûtes, la flèche et les maçonneries qui ont été détruites par le feu, une partie des éléments qui ont résisté – comme les vitraux, les œuvres, les boiseries, les peintures, l’orgue ou les pierres – devront, eux, être rénovés.
« Directement ou indirectement, la totalité du bâtiment doit être reconstruite ou restauré », explique Perluigi Pericolo, architecte du Patrimoine. Reste le problème des énormes quantités d’eau, déversées par les pompiers dans la cathédrale pour éteindre le feu, qui peuvent dégrader – ou accélérer la dégradation – de la structure et des sols.
Comment les travaux vont-ils se dérouler ?
Pour Jean-Marc Pujau, conducteur de travaux pour l’entreprise Travaux Monuments Historiques (TMH), la première étape, « c’est d’abord de recouvrir l’édifice avec un parapluie », pour remplacer la couverture de la cathédrale qui a disparu. « Nous ne sommes pas à l’abri de risques d’effondrement, il faut faire sécher et monter un nouvel échafaudage avec un parapluie », ajoute Frédéric Létoffé, co-président du Groupement des entreprises de restauration de monuments historiques (GMH).
Pour l’architecte Perluigi Pericolo, deux phases se dessinent ensuite. « D’abord une phase de sécurisation, avec la stabilisation des ouvrages, le déblaiement des gravats et le diagnostic des dégâts. La seconde phase, ce sont les travaux de reconstruction et de rénovation ». « La première phase est primordiale. Il faut sécuriser le bâtiment, c’est l’opération la plus complexe et la plus importante, elle détermine la suite », explique-t-il, avant d’ajouter : « Pour la deuxième phase, il faut reconstruire ce qui s’est effondré et consolider ce qui s’est fragilisé. On est dans une lutte temporelle et climatique. Le vent, la pluie, le soleil peuvent accélérer la dégradation du bâtiment. »
Un délai de cinq est-il tenable ?
Si Emmanuel Macron et Anne Hidalgo espèrent que les travaux seront achevés « d’ici cinq ans », notamment pour les Jeux olympiques de Paris en 2024, les experts, eux, semblent beaucoup moins optimistes. « Une restauration entre dix et quinze ans paraît plus raisonnable », estime Frédéric Létoffé. Un délai que partage Perluigi Pericolo : « Cinq ans, c’est un cap qui permet au gouvernement de montrer sa volonté d’agir, mais au vu des dégâts, il faudra certainement plus de temps. Dix ou quinze ans, c’est déjà plus raisonnable. »
Jean-Marc Pujau, lui, estime que le délai évoqué par le président de la République est « jouable ». « Evidemment, en cinq ans, le chantier ne sera pas entièrement fini car les travaux dans les églises ne s’arrêtent jamais vraiment, mais pour le gros de la reconstruction, c’est possible. »
Existe-t-il des solutions qui peuvent accélérer le chantier ?
La reconstruction de la charpente en bois va-t-elle être faite à l’identique ? Si les puristes n’envisagent pas d’autres possibilités, ce n’est pourtant pas la seule solution. D’autres estiment qu’une charpente en béton – comme c’est le cas pour les cathédrales de Reims et Nantes – ou en métal – comme à Chartres – pourraient être des solutions envisageables. Ces techniques de construction offrent plusieurs avantages, notamment « des délais de construction plus courts » et une « meilleure résistance au feu », explique Frédéric Létoffé. Pour Jean-Marc Pujau, « reconstruire à l’identique, ce sera forcément plus long. Le travail à faire sur la charpente en bois est colossal ». « La difficulté avec le bois, c’est que c’est très dur de trouver des belles pièces de cette taille-là », ajoute-t-il.
« Techniquement, l’installation d’une charpente en béton nécessiterait une intervention très lourde. Si on choisit le béton, il faudra réadapter toute la structure du bâtiment », détaille, de son côté, l’architecte Perluigi Pericolo, qui estime que « ce n’est pas simplement une question de rapidité » : « Il y a une vraie réflexion intellectuelle et culturelle à avoir sur le devenir de ce monument. » « De toute façon, peu importe la structure qui sera choisie, on ne pourra pas être plus rapide. Il y a des étapes qu’on ne peut pas brûler », ajoute Jean-Marc Pujau.
Le manque de main-d’œuvre qualifiée peut-il retarder la reconstruction ?
La reconstruction de l’édifice risque d’être confrontée « à un manque de main-d’œuvre en France en tailleurs de pierre, charpentiers et couvreurs », a averti Jean-Claude Bellanger, le secrétaire général des Compagnons du devoir, qui regrette que ces métiers soient « peu valorisés ». Une menace balayée par Frédéric Létoffé, le co-président du GMH, qui affirme que « les effectifs sont suffisants » : « On a les capacités de réaliser ces chantiers de grande ampleur. »
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L’affluence des dons peut-elle accélérer les travaux ?
En moins de 48 heures, près d’un milliard d’euros de dons ont déjà été promis par des entreprises et des grandes fortunes pour la rénovation de l’édifice. Une affluence qui va « grandement aider », selon Jean-Marc Pujau. « D’habitude sur les chantiers, on court après l’argent, là, c’est l’argent qui vient à nous », explique-t-il.
Pour Frédéric Létoffé, même si la somme récoltée est « énorme », « ça ne peut pas accélérer le processus. Dans tous les cas, il y aura des tâches qu’on ne pourra pas superposer ».