Marseille: Récupérer «les biens de la mafia» pour les redistribuer aux quartiers Nord? Un «gadget» selon Edouard Philippe
QUARTIERS NORD•Des Marseillaises souhaitent dans une tribune que les « biens de la mafia » saisis soient redistribués aux quartiers Nord. Une « bonne idée » mais aussi un « gadget » pour Edouard PhilippeMathilde Ceilles
L'essentiel
- Des femmes des quartiers Nord ont signé une tribune pour que les biens saisis par la justice dans la lutte contre le trafic de stupéfiants soients redistribués.
- L’une des signataires a interpellé le Premier ministre à ce propos lors d’une visite à Marseille.
- Ce dernier estime que c’est une « bonne idée », mais qu’elle est « gadget ».
Dans le petit local associatif de la cité Kalliste, cité délabrée des quartiers Nord de Marseille, Fatima Mostefaoui, de l’association Pas sans nous, se lève et fait face au Premier ministre. « On a écrit cette tribune parce qu’on a envie que les choses changent, mais elles ne changeront pas si vous ne nous donnez pas les budgets. On n’a plus envie de sucer les os du poulet. Nous, on a écrit cette tribune pour vous mettre au défi de faire une loi, pour que tout ce qui vient des trafics soit reversé dans les quartiers, car dans les quartiers, on a besoin de conservatoires, d’écoles, de sports. »
Fatima Mostefaoui fait partie des signataires d’une tribune publiée il y a quelques jours dans Libération. Ces signataires sont toutes des femmes issues des quartiers Nord de Marseille, dont les soeurs d'Engin Gunes, victime collatérale d’un règlement de comptes. Toutes demandent la création d’une loi pour qu’une partie des biens et des fonds de « la mafia » saisis par la justice dans le cadre de la lutte contre la criminalité et les réseaux dans les quartiers Nord « soient réaffectés en direction de projets d’économie solidaire pour nos quartiers, premières victimes de l’économie mafieuse et de la corruption ». Et ce, sans passer par des subventions à des associations « parachutées dans nos quartiers, qui en font un commerce » selon les signataires.
« Une histoire de volonté politique »
« Il y a de l’argent pris, opaque, et nous, on ne voit rien, estime Fatima Mostefaoui. Il n’y a pas que les réseaux. Il y a des détournements de fonds, des entreprises qui s’en mettent plein la poche, des cols blancs qui détournent. C’est cet argent-là aussi. On demande à ce que soit créée une loi pour qu’une partie de l’argent mal acquis revienne et redescende dans les quartiers. » Et d’ajouter : « rien n’est difficile, c’est juste une volonté, une histoire de volonté politique. »
Le collectif des femmes des quartiers Nord s’inspire dans sa tribune d’une initiative existante en Italie. « L’Italie nous a montré l’exemple il y a plus de vingt ans maintenant, peut-on lire dans la tribune. Le collectif citoyen Libera s’est battu pour qu’une loi confisque les biens et les avoirs de la mafia afin qu’ils soient réinvestis dans des projets socio-économiques collectifs. »
Une « bonne idée » mais « gadget »
Quand vient son tour de prendre le micro, Edouard Philippe esquive la question soulevée par la tribune, y compris lorsque Fatima Mostefaoui vient expressément le voir pour le relancer sur le sujet. Toutefois, face aux journalistes, le Premier ministre se montre partagé face à cette idée. « Je ne veux pas donner le sentiment de traiter un vrai sujet, énorme, par quelque chose qui est probablement une bonne idée mais qui, compte tenu de l’ampleur du budget, relèverait presque du gadget », estime Edouard Philippe. Et d’insister : « Je n’écarte pas l’idée, elle est bonne, mais je ne voudrais pas que le débat sur la totalité de ce sujet soit évoqué simplement par ce biais. »
« Cette idée mérite d’être regardé, mais il faut prendre en garde une chose : il ne faudrait pas que cela soit une nouvelle manière de stigmatiser ces quartiers, abonde Olivier de Mazières, préfet de police des Bouches-du-Rhône. En réinjectant l’argent mal acquis dans ces quartiers, il y a derrière un sujet d’image donnée à ces quartiers. Ça peut être une réponse, mais ce n’est pas ça qui réglera le problème du trafic de stupéfiants. ». En 2018, on dénombrait 23 morts dans 21 règlements de comptes dans les Bouches-du-Rhône, selon un décompte de la préfecture de police.