MENTALITELe féminicide absent du droit français, juste une question de vocabulaire?

Le féminicide absent du droit français, juste une question de vocabulaire?

MENTALITEPlus qu’une question juridique, c’est sur un plan culturel que les meurtres de femmes ont encore du mal à être bien pris en compte
Le terme féminicide a été développé à partir des années 1970 par une sociologue américaine, Diana E. H. Russell.
Le terme féminicide a été développé à partir des années 1970 par une sociologue américaine, Diana E. H. Russell. - Jacques Witt/SIPA
Rachel Garrat-Valcarcel

Rachel Garrat-Valcarcel

L'essentiel

  • Le féminicide, le fait de tuer une femme parce qu’elle est une femme, n’est pas reconnu en tant que tel dans le droit français.
  • Le terme est encore récent dans le débat français, alors qu’il a été développé dès les années 1970 outre-Atlantique.
  • Si Anne-Charlotte Jelty, responsable du Centre d’information sur les droits des femmes de Nanterre, estime bien que le féminicide est mal considéré, c’est d’après elle, d’abord une question de moyens.

En 2017, 109 femmes sont mortes parce qu’elles étaient des femmes. Le plus souvent sous les coups de leur conjoint ou de leur ex-conjoint. Ce sont des féminicides. C’est comme ça qu’il est défini dans Le Petit Robert depuis 2015. C’est comme ça aussi qu’il est défini dans le droit de plusieurs pays d’Amérique latine. Mais pas en France, où l'on parle toujours d’homicide.

Pour Anne-Charlotte Jelty, directrice du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) de Nanterre, le principal problème n'est pas le vocabulaire. Dans le droit français, il est bien interdit de tuer une femme parce qu’elle est une femme. Que cet acte ait lieu dans le cadre du couple est même une circonstance aggravante. Mieux, « l’arsenal juridique est adapté », estime la directrice du CIDFF de Nanterre. Pour elle, s’il est judicieux de changer les termes, le problème est ailleurs.

« La réponse pénale théorique est OK, mais dans les faits… »

« Il y a une banalisation et une tolérance sur ces violences », juge-t-elle. Qui finit par faire en sorte que les lois qui existent ne soient pas vraiment appliquées. « La réponse pénale théorique est OK, mais dans les faits… »

Pour Anne-Charlotte Jelty, le problème est avant tout celui des moyens. « Il faut former les professionnels, policiers, gendarmes et magistrats. Par exemple, pour poser les bonnes questions lors du dépôt de plainte. Il faut comprendre et être formée à ces questions et à la loi. Qu’on arrête de nous dire que c’est juste un conflit de couple. Ces femmes ne sont pas protégées par la société », lâche même la directrice du CIDFF de Nanterre.

Un problème culturel

Pourtant, son organisme, qui propose des formations, n’a plus de subsides depuis peu. « On nous a supprimés des subventions pour faire des formations. On nous oppose qu’ils sont déjà formés », ce qui ne convainc pas Anne-Charlotte Jelty. Elle juge que les femmes sont mal reçues et que leur parole est encore mal considérée : « L’initiative Paye ta plainte montre à quel point il y a un problème. »

Anne-Charlotte Jelty constate au contraire que les diverses possibilités juridiques pour protéger les femmes ne sont pas exploitées. Par exemple ? « Peu d’ordonnances d’éloignement sont prononcées. Aussi, peu savent qu’un contrôle judiciaire peut être mis en place dès la première plainte. »

Si le vocabulaire peut peut-être être changé, le problème est donc plus culturel que juridique. La directrice du CIDFF reconnaît d’ailleurs que plein d’éléments, comme le terme même de féminicide, sont encore très récents dans le débat français. « Au Canada c’est différent, mais le débat est plus ancien », précise-t-elle.