Montauban: Mais que vient faire le Premier ministre espagnol dimanche?
HISTOIRE•Le Premier ministre espagnol effectue une visite en France ce dimanche pour rendre hommage aux exilés de la guerre civile, voici quatre-vingts ans. Pedro Sanchez se recueillera à Montauban sur la tombe de Manuel Azaña, figure républicaine longtemps occultéeNicolas Stival
L'essentiel
- Le Premier ministre espagnol se rend à Montauban, puis à Collioure et Argelès-sur-Mer, dimanche.
- Dans la cité d’Ingres, il doit honorer la mémoire de Manuel Azaña, dernier président de la République espagnole avant la dictature de Franco.
- Depuis 2006, une association ravive le souvenir de ce « grand oublié de l’histoire d’Espagne et de la guerre civile ».
Montauban va vivre un moment historique, ce dimanche. Pour la première fois, un Premier ministre espagnol en exercice vient se recueillir sur la tombe de Manuel Azaña, le deuxième et dernier président de la République espagnole, de 1936 à 1939. Dans le cadre de son hommage aux 450.000 exilés en France durant la guerre civile, le socialiste Pedro Sanchez se rend aussi au collège Manuel-Azaña, avant de partir pour les Pyrénées-Orientales, à Collioure et Argelès-sur-Mer.
Cet établissement scolaire a été inauguré en 2009, non loin du cimetière urbain où repose depuis 1940 la figure républicaine qui lui a donné son nom. Auparavant chef du gouvernement à deux reprises (1931-1933 puis 1936), Azaña n’est plus, comme ce fut le cas durant des décennies, « le grand oublié de l’histoire d’Espagne et de la guerre civile ».
L’expression est de l’historien Jean-Pierre Amalric, fondateur en 2006 de « Présence de Manuel Azaña ». Une association créée pour raviver le souvenir de cet « homme exceptionnel », doublé d’un « intellectuel remarquable ». Réfugié à Barcelone durant le conflit fratricide, le natif d’Alcalá de Henares, près de Madrid, a franchi la frontière française en février 1939, peu avant la victoire totale des insurgés du général Franco.
La suite ? Une tragédie en trois actes, avec Montauban comme épilogue. Après Collonges-sous-Salève, en Haute-Savoie, Azaña et son entourage s’installent à Pyla-sur-Mer, en Gironde. Mais le littoral aquitain devient zone occupée. Malade, l’ancien président espagnol arrive fin juin 1940 en ambulance à Montauban, où réside un ami de son médecin personnel. L’objectif final est probablement le Mexique, que sa femme Dolores de Rivas Cherif rejoindra en juin 1941. Seule. Son mari est mort le 3 novembre précédent, à l’âge de 60 ans.
Azaña n’aura vécu que ses quatre derniers mois à Montauban
Azaña n’aura vécu que quatre mois dans la préfecture du Tarn-et-Garonne, à l’hôtel du Midi (aujourd’hui Mercure). De longues semaines d’agonie, marquées par deux attaques cérébrales, sous la surveillance d’agents franquistes qui cherchent à le kidnapper. C’est cet homme au destin tragique auquel Pedro Sanchez, en pleine campagne électorale, rend hommage ce dimanche. Vingt-neuf ans après la venue de Jorge Semprun, ministre de la Culture espagnol, et 14 après celle de José Luis Rodriguez Zapatero, en tant qu’ancien Premier ministre.
« On avait oublié ce qu’Azaña a symbolisé et incarné, reprend Jean-Pierre Amalric. Cette visite, c’est la reconnaissance pleine et entière du combat de la démocratie contre le totalitarisme. Manuel Azaña a été traîné dans la boue par les franquistes. Il a subi des critiques virulentes, même de la part de certains dans son camp. »
« Un grand réformateur »
Certains républicains ont en effet jugé Azaña trop modéré, lors de l’impitoyable guerre civile. L’ancien enseignant à la faculté du Mirail (désormais Jean-Jaurès) de Toulouse loue le progressisme d’« un grand réformateur », qui a lutté contre l’analphabétisme en « couvrant l’Espagne d’écoles », a voulu séparer l’Eglise et l’Etat « sur le modèle français » et a « fait adopter le premier statut d’autonomie de la Catalogne ». Azaña a aussi tenté, sans succès, de mener une réforme agraire et de réduire le poids des officiers dans l’armée.
Depuis treize ans, début novembre, l’association de Jean-Pierre Amalric commémore à Montauban un homme dont le corps repose dans une ville où il est arrivé par accident, poussé par les cahots de l’Histoire. Et qu’il ne quittera plus, selon sa volonté, résumée en une phrase : « Que l’on m’enterre là où je tomberai. »