INTERVIEWAntisémitisme, climat, attentat... Les marches sont-elles utiles?

Antisémitisme, climat, attentat... Les marches sont-elles réellement utiles?

INTERVIEWPour Michel Wieviorka, sociologue et écrivain, la marche « est la meilleure façon démocratique de faire connaître une cause ou une protestation, sans violence »
Manon Aublanc

Manon Aublanc

L'essentiel

  • Plusieurs marches contre l’antisémitisme auront lieu ce mardi soir un peu partout en France.
  • Le sociologue Michel Wieviorka a répondu aux questions de « 20 Minutes » sur l’utilité des marches citoyennes.

Dénoncer l’inaction climatique du gouvernement, lutter contre les violences sexistes et sexuelles, honorer la mémoire des victimes du terrorisme, défendre l’IVG ou encore protester contre la hausse des actes antisémites, à chaque semaine, sa marche. Depuis plusieurs années, elles se succèdent et rassemblent parfois plusieurs millions de personnes, côte à côte, pour une même cause.

Mais ces marches, la plupart du temps pacifistes, sont-elles réellement utiles ? Pourquoi les organisateurs choisissent-ils d’organiser une marche plutôt qu’une manifestation ? Quelle est la différence ? Quelques heures avant la marche contre l'antisémitisme, ce mardi soir, 20 Minutes a interrogé Michel Wieviorka, sociologue et écrivain, directeur d’études à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales.

Pourquoi organise-t-on des marches ?

La marche, c’est la meilleure façon démocratique de faire connaître une cause ou une protestation, sans violence. Elles existent depuis très longtemps. Elles peuvent être courtes ou longues. On se souvient de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, que l’on a appelée la « Marche des beurs », qui s’est déroulée sur plusieurs semaines (entre le 15 octobre et le 3 décembre 1983) de Marseille et Paris. La marche est également un moyen de se compter, de se dénombrer et, de fait, d’installer un rapport de force dans le cas où les participants sont très nombreux.

Mais toutes les marches ne se ressemblent pas. Il y a les marches rituelles, comme celle du 1er mai qui revient chaque année, et les marches qui surgissent à l’occasion d’un événement, d’une volonté ou d’un drame. Elles peuvent être guerrières ou pacifistes. Par exemple, la marche sur Rome, c’est la marche des fascistes italiens qui sont allés jusqu’à Rome en 1922 dans le but d’impressionner le pouvoir.

Les marches ont-elles vraiment un impact ?

Les marches peuvent avoir différentes utilités, elles peuvent être expressives, c’est-à-dire exprimer une indignation, une émotion, un sentiment. C’est le cas pour les marches blanches qui permettent d’exprimer sa solidarité avec les victimes ou les familles de victimes d’un drame. Elles peuvent aussi avoir une dimension instrumentale, c’est-à-dire avoir lieu pour essayer d’attirer l’attention ou sensibiliser le gouvernement, les pouvoirs publics et les médias.

Certaines d’entre elles ont eu de véritables conséquences. Par exemple, en 1984, la Marche pour l’égalité et contre le racisme a eu un réel impact puisque François Mitterrand a finalement pris des mesures (la carte de séjour pour 10 ans et la création d’une loi contre les crimes racistes). Mais ce n’est pas toujours le cas, ou, en tout cas, elles n’ont pas toujours les effets escomptés.

Pourquoi les citoyens participent-ils à ces marches ?

Les gens qui participent à ces marches viennent avant tout par conviction, ils s’identifient à une cause précise, à des valeurs. S’ils participent, c’est automatiquement qu’ils sont touchés par la cause de la marche. Celle-ci devient alors la somme des personnes qui y participent, où chacun a pris la décision individuelle de venir. Il y a souvent une très forte communion, comme c’était le cas pour la marche du 11 janvier 2015, après l’attentat de Charlie Hebdo.

A l’inverse, on observe parfois de grandes différences à l’intérieur de certaines marches. La marche du 13 mai 68 était composée de profils très différents avec des étudiants, des ouvriers, la gauche, l’extrême-gauche, des personnes non politisées.

Si elles ont, en général, une portée nationale, les marches blanches, elles, sont souvent locales. Par exemple, pour la disparition d’un enfant ou le meurtre d’une personne, le village ou la ville défile ensemble. Dans certains cas, la marche blanche prend elle aussi une dimension nationale (comme c’était le cas lors de la marche en hommage aux victimes de Mohamed Merah ou Ilan Halimi). Locale ou nationale, ce sont toujours des gens qui se rassemblent, dans l’unité, pour une cause commune.

Quelle est la différence entre marche et manifestation ?

Si une marche est forcément synonyme de mouvement ou de déplacement, certaines manifestations, elles, ne bougent pas, comme Nuit Debout ou certains rassemblements place de la République. On peut opposer ceux qui marchent à ceux qui occupent une place pour protester. Ce sont les organisateurs qui choisissent ce qui leur semble le plus fort. Ce sont deux logiques différentes, la logique du mouvement, d’avancer ensemble, et la logique du rassemblement, d’être ensemble.