Antisémitisme et crise sociale sont-ils liés?
REGAIN•Les périodes de hausse de l'antisémitisme sont-elles reliées à un contexte de crise sociale, politique ou économique?
Manon Aublanc
L'essentiel
- Depuis plusieurs semaines, de nombreux actes de vandalisme ou d’agressions à caractère antisémites ont été dénombrés.
- Entre 2017 et 2018, les actes antisémites sont passés de 311 à 541, soit 74 % d’augmentation, a annoncé le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, la semaine dernière.
- Face à la montée de l’antisémitisme, un appel au rassemblement a été lancé, ce mardi, dans toute la France.
Des croix gammées dessinées sur un portrait de Simone Veil, des arbres plantées en hommage à Ilan Halimi vandalisés, un tag « Juden » inscrit en lettres jaunes à Paris ou encore un cimetière juif profané dans le Bas-Rhin, ce mardi… Ces derniers jours ont été marqués par un regain d’actes de vandalisme ou d’agressions à caractère antisémites, c’est-à-dire hostile à l’égard des juifs. Entre 2017 et 2018, les actes antijuifs sont passés de 311 à 541, soit une hausse de 74 %. Au même moment, la France connaît une forte crise économique et sociale, avec notamment le mouvement des « gilets jaunes ». Alors simple corrélation ou vraie causalité ? Nous avons demandé leur avis à trois spécialistes.
Pour Marie-Anne Matard-Bonucci, spécialiste des fascismes et de l’antisémitisme et présidente d’Alarmer (Association de lutte contre l’antisémitisme et les racismes par la mobilisation de l’enseignement et de la recherche), interrogée la semaine dernière par 20 Minutes, le regain d’actes antisémites est bien lié au contexte social : « La hausse des actes antisémites est à mettre en relation avec un contexte de crise sociale et politique propice aux accusations simplistes et aux attaques contre des boucs émissaires ».
« La persistance des stéréotypes concernant les juifs »
Carole Reynaud-Paligot, historienne spécialiste de l’histoire des processus de racialisation, se montre plus mesurée : « Plutôt que la crise sociale, c’est la montée du nationalisme qui favorise l’antisémitisme. L’idéologie traditionnelle de l’extrême droite, ce sont des valeurs de rejet de l’autre, donc de racisme et d’antisémitisme. » « Ce qu’on observe aujourd’hui, c’est la persistance des stéréotypes concernant les juifs, abonde-t-elle. Ces stéréotypes sont toujours très présents dans l’imaginaire et on associe encore largement les juifs au pouvoir et à l’argent. C’est ça le plus inquiétant. »
« Dire que c’est en période de crise que l’antisémitisme monte, c’est chercher un bouc émissaire, estime, de son côté Renée Dray Bensousan, historienne et présidente de l’Association de la Recherche et Enseignement de la Shoah. C’est-à-dire chercher à tout prix le fauteur de trouble pour lui faire porter toute la responsabilité du malheur et s’en débarrasser. » Et si des propos et des slogans antisémites ont été repérés dans les manifestations des « gilets jaunes », elle estime qu’il s’agit d’une niche d’individus : « Les "gilets jaunes", c’est un mouvement qui n’est ni très structuré, ni très politisé et qui peut être sujet à une instrumentalisation, faite par des gens antisémites qui se servent de lui pour leur propre idéologie ». Une idée partagée également Carole Reynaud-Paligot : « Les "gilets jaunes" ne sont pas antisémites, mais il y a un noyau de partisans d’extrême droite, présents dans les manifestations, qui eux sont antisémites ».