VIDEO. Acte 13 des «gilets jaunes»: Pourquoi sont-ils si discrets en Corse, alors que l'essence est plus chère?
REPORTAGE•Le mouvement des «gilets jaunes» n’a pas vraiment essaimé en Corse. Notre envoyé spécial à Bastia a constaté qu’il existe une «déconnexion entre les revendications nationales et les revendications corses»Jean Saint-Marc
L'essentiel
- Il existe quelques groupuscules de « gilets jaunes » en Corse, mais ils restent discrets. Pourtant, l’essence est très chère sur l’île de Beauté, qui appartient évidemment à la « France périphérique ».
- Selon plusieurs spécialistes, ce relatif silence des « gilets jaunes » sur l’île s’explique par l’absence de mobilisation des nationalistes, majoritaires politiquement en Corse et généralement à l’avant-garde des mouvements sociaux.
De notre envoyé spécial à Bastia,
Des « gilets jaunes. » Des cheveux gris. Un cortège tout sauf noir de monde. A peine 250 personnes ont manifesté ce mardi à Bastia. Pourtant, comme ailleurs en France, la CGT renforçait les rangs des « gilets jaunes », ce matin-là. « Les gens sont feignants ici, ils ont du mal à sortir de chez eux », peste Nathalie, une Bastiaise d’une cinquantaine d’années, actuellement au chômage. Entre deux « Macron démission » ou « TVA basta », elle développe : « En Corse, pour monter dans les villages, on n’a pas le choix : il faut une voiture. » Et pourtant, le mouvement des « gilets jaunes », qui a débuté en novembre pour protester contre la hausse des taxes sur les carburants, n’a pas essaimé sur l’Ile de Beauté.
« On avait objectivement toutes les conditions pour que cette contestation retentisse en Corse », estime le sociologue Jean-Louis Fabiani. Il poursuit :
« Le coût de la vie est au moins 4 % plus cher en Corse que sur le continent, avec des revenus moyens par ménage qui sont inférieurs et une pauvreté qui croît. Les Corses font partie de la France périphérique : il n’y a pas ou très peu de transports publics, le recours à l’automobile pèse sur les budgets. Surtout qu’en montagne, on consomme plus ! » »
Notre dossier sur les «gilets jaunes»
Et le carburant coûte plus cher en Corse que sur le continent. 1,52 euros le litre de gazole, 1,56 le litre de sans-plomb, c’est 10 et 13 centimes de plus que la moyenne nationale. « On a juste quelques mois d’avance, il sera bientôt aussi cher sur le continent », plaisante le patron d’une station-service. Puis, plus sérieux : « C’est plus cher car en Corse, l’essence est vendue par des indépendants, pas par les grandes surfaces. Donc on ne fait pas de promo ou d’essence à prix coûtant. Et ça coûte cher d’acheminer le carburant jusqu’en Corse ! » Le principal distributeur, Vito, est par ailleurs en situation de quasi monopole…
Pacifiques « parce que la Corse est suffisamment violente comme ça »
« Je ne fais plus que des demi-pleins », peste Martine, une autre « gilet jaune » croisée à Bastia. Elle a écrit « Stop au racket » sur son gilet et s’emporte : « Le pire, c’est qu’il y a moins de TVA en Corse ! Le carburant n’est taxé qu’à 13 %. » Contre 20 % sur le continent. Ce décalage énerve particulièrement les Corses que nous avons rencontrés. Mais, pour Jean-Louis Fabiani, « ils ne peuvent pas se reconnaître dans un mouvement social né sur le continent. » Comme le note le sociologue, « il y a depuis des années une dissociation, une déconnexion entre les revendications nationales et les revendications corses. »
Trop « Français », les « gilets jaunes » ? Jean-Jacques Rouyer, le coordinateur du groupe Bastia-Casabianca, s’interroge à voix haute : « Peut-être que les anciens comme moi incitent à la modération ? » Cet ancien gestionnaire de patrimoine, âgé de 66 ans, porte beau. Crinière blanche, Stan Smith rouges, Jean-Jacques ne sera jamais debout sur une barricade : « Nous sommes comme Spaggiari. Sans arme, ni haine, ni violence. On a une culture de la non-violence, peut-être parce que la Corse est suffisamment violente comme ça ! »
Les nationalistes « n’ont pas bronché »
Son groupe a gentiment occupé un dépôt pétrolier, lundi dernier, mais aucun heurt n’a éclaté, comme à Paris, Bordeaux ou Marseille. Seul fait notable, depuis novembre : un début de caillassage de la préfecture de Bastia, le 8 décembre. Cinq personnes ont été interpellées. « On s’est dit : "si les jeunes nationalistes descendent dans la rue, ça va peut-être chauffer" », souffle un policier. Mais ils sont restés chez eux. Et comme le dit cet expert des enjeux sécuritaires en Corse, « tant que les nationalistes ne bougent pas, il ne se passe rien. Et pour l’instant, ils n’ont pas bronché. »