Les gendarmes ont-ils jeté du gaz lacrymogène sans raison sur des «gilets jaunes» à Manosque?
FAKE OFF•Une vidéo virale tournée samedi à la sortie de Manosque (Alpes-de-Haute-Provence) pendant l'acte 11 des « gilets jaunes » montre des véhicules de gendarmerie jeter des grenades lacrymogènes sur la route...Alexis Orsini
L'essentiel
- A Manosque, dans les Alpes-de-Haute-provence, l’acte 11 des « gilets jaunes » a donné lieu samedi à de vives tensions entre manifestants et forces de l’ordre.
- Une vidéo très partagée montre un escadron de gendarmerie mobile jeter des grenades lacrymogènes sur une route empruntée par des « gilets jaunes », sans raison apparente.
- La gendarmerie et différents témoins reviennent pour 20 Minutes sur le déroulement des faits.
C’est l’une des vidéos les plus partagées de l’acte 11 des « gilets jaunes » : pendant son passage sur une route de campagne, un convoi des forces de l’ordre, sirènes hurlantes, largue des grenades lacrymogènes sur les manifestants qui cheminent dans la même direction. Visiblement sans raison, puisque aucun piéton ne se comporte de manière agressive.
« Petit kif de CRS avant de rentrer du boulot : balancer une lacrymo sur des "gilets jaunes" depuis son véhicule » affirme ainsi une page Facebook qui a cumulé près de 9.000 partages et plus de 257.000 vues avec cette « vidéo prise lors de l’acte 11 à Manosque ».
D’autres images, moins virales, montrent quant à elles le début de la scène, filmée depuis l’intérieur d’une voiture roulant devant le convoi. Une fois qu’elle cède la place aux fourgons, l’un des gendarmes mobiles du véhicule de tête asperge d’un jet de gaz lacrymogèneCarine, la passagère qui filme la scène (à 1'54'' ci-dessous).
Cette séquence a bien eu lieu à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), samedi 26 janvier, lors de l’acte 11 des « gilets jaunes », au terme de plusieurs heures de tension entre manifestants et forces de l’ordre dans le centre-ville.
FAKE OFF
Les images ont été filmées à la sortie de la ville, sur la D67, à hauteur de l’hôtel Le Provence, visible brièvement sur la gauche dans chaque vidéo – comme on peut le vérifier sur Google Maps.
« Il était 17h10, indique à 20 Minutes Carine, après vérification de l’heure de son enregistrement. Les grenades lacrymo ont été larguées juste après qu’on m’a gazée par la fenêtre et notre arrivée au rond-point de l’A51 », poursuit la street medic mobilisée lors de l’acte 11. Un déroulement confirmé par Kevin, l’un des piétons qu’on aperçoit sur la route : « Le premier véhicule de l’escadron a gazé la voiture au spray et le dernier a lâché les grenades. »
Contactée par 20 Minutes, la gendarmerie nationale indique pour sa part que « l’escadron [de gendarmerie mobile] concerné venait du commissariat de police de Manosque, où il avait fait face à une foule d’environ 500 personnes, dont une centaine d’individus particulièrement hargneux, qui jetaient de la peinture ou enflammaient des poubelles. »
« L’escadron a ensuite été appelé pour une intervention à la gare de péage de l’autoroute, où étaient commises des dégradations. Sur la vidéo, les gendarmes mobiles font donc route dans cette direction lorsqu’ils reconnaissent certains des manifestants les plus virulents sur le bord de la route », explique-t-elle.
Un usage de grenades lacrymogènes reconnu par la gendarmerie nationale
Comment expliquer l’utilisation de grenades lacrymogènes sur cette petite route empruntée dans les deux sens de circulation ? « Plusieurs [de ces manifestants] ont tenté de retarder l’avancée de l’escadron en zigzaguant à vélo, tandis que des piétons se mettaient au milieu de la route, et que des voitures freinaient pour ralentir les véhicules. C’était assez dangereux […] donc les gendarmes mobiles ont envoyé des grenades lacrymogènes pour les empêcher de revenir sur la voie et pouvoir se rendre au péage », avance la gendarmerie nationale.
Si on voit bien, dans la vidéo filmée par Carine, son véhicule gêner la progression des véhicules de gendarmerie, gyrophares activés, qui tentent de se frayer un passage, elle nie toute volonté d’obstruction : « On ne pouvait pas se dégager [pour les laisser passer] puisqu’à droite il y avait des manifestants, et à gauche comme devant nous, des voitures. »
« Je reconnais que c’était de la provocation »
Kevin, qui avait commencé à manifester à Manosque en début d’après-midi, admet en revanche une part de responsabilité : « Je marchais volontairement au milieu de la route, je reconnais que c’était de la provocation, mais ils pouvaient largement passer et il n’y a pas eu de sommation. »
« J’étais aussi devant le commissariat, où on s’est mis à chanter, j’ai vu quelqu’un jeter des œufs avec de la peinture jaune sur la façade, des poubelles brûlées et j’ai identifié trois personnes qui jetaient des cailloux », poursuit le pompier volontaire. « A partir de là, ça a chargé […] et c’était la guerre, avec des tirs de LBD, une grenade lacrymogène qui m’a explosé dans les rangers… Des deux côtés, il y a eu des choses qui ne se font pas mais je n’ai pas jeté de cailloux. »
Kevin, qui a annoncé son intention de porter plainte, estime, comme Carine, que les tensions entre les manifestants et les forces de l’ordre étaient sans commune mesure avec la mobilisation de la semaine précédente à Forcalquier. « Peut-être qu’on m’a identifié comme fauteur de troubles parce que j’ai dit aux gendarmes en début de manif, les mains en l’air et le visage à découvert : "Ce matin je me suis levé sans la haine des flics et maintenant je l’ai" » conclut-il.
Si le recours à des grenades lacrymogènes dans ce contexte est donc justifié aux yeux de la gendarmerie nationale, l’usage d’un conteneur lacrymogène sur Carine pourrait en revanche entraîner des répercussions. « Cette utilisation de la gazeuse a été mentionnée dans le rapport, ce sera à la hiérarchie de décider si elle a constaté une faute », nous indique une source proche du dossier.
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