Immeubles effondrés à Marseille: Deux mois après, 1.330 personnes dorment toujours à l’hôtel
CRISE DU LOGEMENT•Deux mois après l’effondrement des immeubles rue d’Aubagne, plus d’un millier de personnes sont toujours sans logement…Mathilde Ceilles
L'essentiel
- La crise du logement insalubre à Marseille a débuté il y a plus de deux mois. Selon nos informations, 1.330 personnes dorment toujours à l’hôtel.
- « Au bout de deux propositions pour un logement temporaire et trois propositions d’un logement définitif, notre dossier n’est plus prioritaire », explique une personne privée de son logement.
Deux mois plus tard, 1.330 Marseillais vivent toujours à l’hôtel, selon nos informations. Depuis l'effondrement d'immeubles rue d'Aubagne, le 5 novembre dernier, la cité phocéenne traverse une crise du logement sans précédent. Le terrible drame a précipité hors de chez elles des centaines de personnes vivant dans des immeubles délabrés. Mais malgré les semaines, le nombre de relogés faiblit difficilement, et la crise s’enlise.
Pourtant, en décembre dernier, la mairie a adopté une convention avec la Soliha Provence, censée accélérer les relogements. Signée également par l’Etat, cette convention permet de confier à l’association une mission de maîtrise d’œuvre urbaine et sociale, dite Mous. La Soliha a alors pour mission d' « à accueillir, évaluer et favoriser le relogement d’urgence, prioritairement temporaire, des ménages marseillais ayant été évacués de leurs habitations depuis le 5 novembre », selon un communiqué de presse de la mairie.
« J’ai la rage »
« Des bailleurs sociaux et des privés proposent à la Soliha un logement, explique Marie-Emmanuelle Assidon, préfète déléguée à l’égalité des chances dans les Bouches-du-Rhône. La Soliha le visite et s’il lui semble convenable, signe un bail, avant de chercher un sous-locataire parmi les sinistrés. L’idée de proposer à ces personnes une meilleure qualité de vie que l’hôtel. »
Selon Arlette Fructus, adjointe à la mairie de Marseille en charge du relogement, 57 baux ont été signés par la Soliha, sur les 250 logements disponibles. Du côté des sinistrés, l’attente se fait longue et l’agacement est perceptible, dans un contexte tendu. Ce lundi, la mairie a décidé de suspendre la distribution de tickets de la RTM à destination des sinistrés. « Il faut voir si la dépense engagée par la mairie ne portera pas de difficulté, explique Arlette Fructus. Et ce n’est pas une obligation. »
De quoi créer un peu plus l’incompréhension chez les délogés. « J’ai la rage », confie Anissa, locataire d’un petit appartement situé rue Sainte-Cécile, dans le 5e arrondissement. Voilà deux mois que cette membre du collectif du 5 novembre vit dans un hôtel à la Timone. La Soliha lui a bien proposé deux solutions temporaires de relogement. C’était dans les 9e et 10e arrondissements de Marseille. Soit loin du centre-ville et des transports en commun réguliers pour cette jeune femme sans permis.
« Avec mon travail, c’est compliqué, explique-t-elle. Je dois prendre régulièrement le train pour Arles tôt le matin. Si c’est pour passer des heures dans le bus, ce n’est pas possible. J’avais pourtant demandé le 5e arrondissement ou près d’un métro. »
« Donner des chiffres »
Après ces refus, la jeune femme se dit victime de « pressions » de la part de la Soliha. « Au bout de deux propositions pour un logement temporaire et trois propositions d’un logement définitif, notre dossier n’est plus prioritaire, explique-t-elle. On m’a dit que si je n’acceptais pas ça, on ne me proposerait plus rien. La Soliha doit donner des chiffres. La proposition, ils s’en fichent, ils doivent faire le travail. »
« On a l’impression qu’on gère des dossiers et pas des humains, alors que derrière, il y a des gens lourdement traumatisés, estime Nassera Benmarnia, en charge de ces questions au sein du collectif du 5 novembre, et ancienne candidate aux dernières législatives au côté du socialiste Patrick Mennucci. La Soliha doit remplir les objectifs de son contrat, alors qu’elle devrait tenir compte de la réalité quotidienne de ces familles. »
« Ça avance lentement »
« Il n’y a aucun objectif chiffré, dément Marie-Emmanuelle Assidon. La Soliha a signé pour 300 relogements temporaires et 100 définitives, et il lui a été demandé d’aller le plus vie possible, dans les meilleurs délais et les meilleures conditions. »
Et de concéder : « Cela avance lentement. Mais, les logements, on ne peut pas les inventer. Je comprends l’exaspération des personnes en détresse. Je ne vois pas toutefois comment on pourrait aller plus vite. » « Si on avait les bons appartements dans le 1er arrondissement, on les mettrait à disposition, abonde Arlette Fructus. Mais il faut expliquer qu’il s’agit d’une solution temporaire, le temps que les travaux soient effectués. On ne peut pas vouloir du sur-mesure et se plaindre que c’est trop long. »
Dans sa mission, la Soliha fait de plus face à d’autres problématiques, selon la préfète. « Nous avons aussi une mauvaise visibilité sur les immeubles réintégrables. De plus, certaines personnes ne souhaitent pas réintégrer leurs immeubles par crainte, et on peut le comprendre. »
Ainsi, selon la préfète, seuls 59 immeubles sur les centaines évacuées pour raison de sécurité peuvent être de nouveau habités. « La plupart des évacués doivent s’inscrire sur un temps moyen de plusieurs mois », prévient Marie-Emmanuelle Assidon.