Pourquoi la femme défenestrée par son conjoint et tétraplégique n'est qu'en partie indemnisée
VIOLENCES•Une femme défenestrée par son compagnon a été considérée comme en partie responsable de ce qu'il lui est arrivé par la Commission d'indemnisation des victimes...Jean-Loup Delmas
L'affaire est à peine croyable. Une femme de 31 ans habitant Le Mans est devenue paraplégique après avoir été défenestrée par son compagnon. Dans son arrêt civil de juin 2016, la Cour d’assises fixe la provision pour l’indemnisation de la victime à 90.000 euros. Pourtant, la Commission d’indemnisation des victimes (Civi) refuse de l’indemniser complètement, la considérant comme partiellement responsable de sa situation. Le motif invoqué ? : la femme était restée à son domicile avec son compagnon violent, alors que les policiers lui avaient conseillé de ne pas y demeurer, rapporte Le Maine Libre.
Une décision qui a bien sûr fait polémique, jusqu'à faire réagir Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat en charge de l'égalité femmes-hommes.
Comment considérer la victime responsable de sa propre défenestration ? L’avocat Hubert Delarue explique que le partage des responsabilités n’a rien d’exceptionnel, juridiquement : « C’est même quelque chose d’assez fréquent. Si on considère que la personne a participé à la réalisation de son dommage, elle va être tenue en partie responsable. Reste à la juridiction à déterminer le pourcentage. Il n’y a pas de statut d’immunité pour les victimes qui les empêcherait en soi de ne pas être tenues en partie responsables. Avant, on appelait même ça l’excuse de provocation. » Des termes dont on peut comprendre aisément qu'ils aient été renommés…
Une procédure fréquente
Mais la situation ne reste-t-elle pas choquante malgré tout ? Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’AVFT, spécialiste des violences sexistes et sexuelles, admet la possibilité juridique d’un tel procédé : « La faute de la victime fait partie de la logique du droit de la responsabilité civile. Il est juridiquement possible pour un juge de rechercher un motif d’atténuation de la responsabilité de l’auteur d’un préjudice dans le comportement de la victime. Mais ce raisonnement doit être connecté à la réalité et à la marge de manœuvre véritable des victimes. »
Pour indemniser les victimes, la procédure est toujours la même : le rapport médical fixe un montant d'indemnités, le tribunal pénal estime ensuite la part de responsabilité, «argument souvent utilisé par les mises en accusation, et qui ne retire rien au statut de la victime. Ensuite, le civil règle le pourcentage d’indemnisation selon le pourcentage de responsabilité estimé par le pénal», explique Hubert Delarue.
« Un message extrêmement violent pour les victimes »
Néanmoins, passé le volet juridique, la décision a tout de même de quoi surprendre. Marilyn Baldeck s'interroge sur d'autres décisions éventuelles procédant de la même logique : « Si la Civi a bel et bien rendu cette décision, c’est stupéfiant. Avec un tel raisonnement, qu’est-ce qui empêcherait pour le juge de l’indemnisation de réduire les dommages-intérêts d’une victime de viol parce qu’elle se baladait seule, la nuit en minijupe, au motif qu’elle se serait mise en danger ? C’est la porte ouverte à la mise en cause du comportement de chaque victime pour utiliser ensuite les pires clichés et préjugés contre elles. »
De quoi décourager d'autres victimes ? « C’est un message extrêmement décourageant pour nous, et terrible pour les victimes. Cela peut en pousser certaines à ne plus demander réparation, si elles constatent qu’on les tient ensuite pour responsables des violences subies. »
Supprimer la responsabilité des victimes ?
Surtout que selon Marilyn Baldeck, ce n’est pas la première fois que la Civi se montrerait un peu près de ses sous : « Il faut savoir que la Civi se montre souvent très pingre avec les victimes, qui sont généralement très mal indemnisées des préjudices subis. Pour avoir suivi plusieurs procédures, on sait que c’est souvent un combat avec beaucoup d’efforts pour un résultat décevant. La Civi n’a pas seulement pour vocation d’indemniser les victimes de violences conjugales ou sexuelles, mais aussi les victimes d’attentat. Avec les centaines voire milliers de victimes des attentats ces dernières années, et un fonds de garantie qui n’est pas extensible, il y a mathématiquement moins d’argent pour indemniser les victimes, ce qui n’est peut-être pas sans lien avec cette affaire. »
Faut-il de fait souhaiter une modification du droit ? Pour Marilyn Baldeck, la question est à sérieusement envisager : « Je m’interroge sur l’opportunité d’interdire d’aller rechercher la responsabilité des victimes de violences conjugales ou sexuelles. Une fois le statut de victime reconnu, il ne serait plus possible de rechercher sa responsabilité pour baisser l’indemnisation. »