Pourquoi les «gilets jaunes» se revendiquent de la Révolution française
SOCIAL•Les symboles de la Révolution française sont aussi courants que visibles dans le mouvement des « gilets jaunes », une référence qui s'explique par bien des raisons…Oihana Gabriel
L'essentiel
- Bonnets phrygiens, guillotines, doléances… Les références à la Révolution française se multiplient depuis le début du mouvement des « gilets jaunes ».
- Si la situation sociale et économique diffère largement entre 1789 et 2018, les revendications de justice, d’égalité, des critiques d’un pouvoir lointain et son absence de réponse se retrouvent dans ces mouvements à plus de 200 ans d’écart.
- A la fois connu, positif, fédérateur et assez flou, cet épisode politique de notre histoire est plutôt confortable pour le mouvement des « gilets jaunes ».
Des bonnets phrygiens, des cahiers de doléances, des guillotines en carton… Les symboles rappelant la Révolution française ont fleuri dès les premières mobilisations des «gilets jaunes». Mais le parallèle se fait de plus en plus visible ces derniers jours, avec notamment un «gilet jaune» en garde à vue après avoir menacé de guillotine un député LREM à Vesoul mercredi.
Ou encore cette comparaison de Jean-Luc Mélenchon qui a publié lundi dernier un billet dans lequel il souligne sa fascination pour Eric Drouet. « Il y a déjà eu un Drouet décisif dans l’histoire révolutionnaire de la France. Drouet, c’est cet homme qui a observé attentivement cette diligence bizarre sur la route de Varennes en juin 1791 », rappelle le patron des Insoumis. Pourquoi les « gilets jaunes » se réfèrent-ils autant à la Révolution française ?
Une révolte pour la justice et l’égalité
Du côté des motifs qui ont mis le feu aux poudres, les parallèles sont légions. Du pain pour tous, de l’essence abordable. Si la situation sociale de 1789 n’a rien à voir avec celle de 2018, on retrouve la même exigence de justice sociale. « La révolte des "gilets jaunes" s’est appuyée initialement sur la question fiscale, la taxe carbone, tout comme la Révolution française est née en partie comme un mouvement contre les impôts indirects, la gabelle, l’impôt sur le sel ou les droits de douane », rappelle Michel Biard, historien spécialiste de la Révolution française et professeur à l’Université de Rouen-Normandie.
Qui poursuit : « En France, la notion d’égalité est très importante, beaucoup plus que dans les pays anglo-saxons. Avant même la Révolution, il existait dans une partie de la France un héritage égalitaire entre enfants. Et évidemment, la Révolution, c’est la proclamation de l’égalité comme droit fondamental. Cette égalité civile, mais pas sociale car la Révolution n’est pas du tout une sorte d’ancêtre du communisme, est ancrée dans notre mémoire collective. » D’où l’évidence d’inscrire les pas de ce mouvement spontané et populaire dans ceux des ancêtres qui ont pris la Bastille.
Ces références collent aussi aux désirs de certains « gilets jaunes » de se réapproprier le pouvoir. « La Révolution française crée en France la notion de souveraineté nationale, donc l’idée que le peuple est souverain et qu’il peut demander des comptes à ceux qui le représentent, reprend Michel Biard. Ce qu’on entend beaucoup en ce moment. D’où l’idée du référendum d’initiative citoyenne. La Constitution de 1793 prévoyait d’ailleurs ce type de référendum : si 10 % des citoyens répartis sur plus de la moitié des départements contestaient une loi, elle n’était pas adoptée ! »
Lire notre dossier sur les gilets jaunes
Une rage contre un pouvoir lointain et arrogant
Ce qui rapproche également révolte des « gilets jaunes » et Révolution française, c’est la réponse du pouvoir. En effet, selon Michel Biard, le silence de Macron et le délai de réaction du gouvernement ont amplifié l’ampleur du mouvement. « Le gouvernement a laissé s’installer cette colère. Cette absence de réponse peut être rapprochée des années 1787 et 1788. Le problème majeur à cette époque, c’était de créer un impôt nouveau qui pèserait sur tout le monde, y compris la noblesse et le clergé. Mais Louis XVI a été incapable de l’imposer. Ce qui a entraîné la convocation des Etats Généraux, porte d’entrée vers la Révolution. » En 2018, le pouvoir lointain, déconnecté des fins de mois difficiles et un mépris palpable n’ont fait qu’accroître la colère contre les puissants en général, contre Emmanuel Macron en particulier.
Ce fossé ne s’est pas creusé seulement depuis le 17 novembre. Mais cette défiance ressemble à un retour de bâton pour un président qui a été le premier à adopter les symboles de la royauté. Emmanuel Macron déambule dans le Louvre le soir de son élection, reçoit Vladimir Poutine à Versailles, réunit le Congrès au palais du Roi Soleil chaque mois de juillet… « Macron a voulu restaurer l’image de président au-dessus des partis, ce qui l’a fait apparaître comme un nouveau monarque et lui a valu une étiquette de président des riches », résume Michel Biard. L’actuel président ne s’était d’ailleurs pas caché de son admiration pour la royauté : en 2015, il déclarait dans les colonnes du 1 Hebdo, « dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort ».
Des propos qui résonnent avec ironie alors que des «gilets jaunes» ont mimé à Angoulême une décapitation de Macron… « Il y a aussi une référence plus subliminale à la Révolution, ajoute le sociologue Michel Wieviorka avec l’idée que le pouvoir serait lié aux forces étrangères. » Aujourd’hui, Emmanuel Macron est accusé par certains d’être à la botte de la finance internationale, hier Louis XVI tenta de se réfugier à l’étranger…
Une référence commode car positive et floue…
Mais si les « gilets jaunes » ont tout intérêt à poursuivre ses comparaisons et à afficher les symboles de la Révolution française, c’est aussi parce que, bien plus que 1830, la Commune ou mai 68, c’est la référence par excellence d’une révolution populaire, d’un renversement de système, d’une fierté nationale. « Cet imaginaire mobilisé permet aussi de donner une légitimité de rupture, reprend le sociologue et président de la Fondation maison des sciences de l’homme (FMSH). Qui consiste à dire que ce que nous faisons, c’est pour en finir avec un pouvoir absolutiste. » Une référence positive, qui pourrait excuser certaines violences…
« En s’inspirant de cet épisode politique et non d’une révolte ouvrière, on donne l’image d’un peuple et non une classe sociale qui se soulève. » Ainsi, chacun peut épouser ces revendications larges, floues… Qui d’ailleurs ont échappé jusqu’ici à la récupération politique. « Tous les Français peuvent se retrouver dans ces références, de l’extrême gauche à l’extrême droite, assure le sociologue. Cela permet au mouvement de garder une unité », indique Michel Wieviorka.
… Et surtout connue de tous
« La Révolution française, c’est un patrimoine culturel que tout le monde partage, souligne Michel Biard. La Commune, par exemple, est beaucoup moins enseignée à l’école. Et puis ses symboles sont partout : « Liberté, égalité, fraternité » figure sur toutes nos mairies, la Marseillaise est restée notre hymne national… »
Une référence qui fédère pour le moment. « Cette référence est pratique car elle mêle des choses diverses : on a les doléances, mais aussi la colère populaire et la guillotine, avance Michel Wieviorka. Aujourd’hui le mouvement ne dissocie pas la phase de 1789 de celle de 1793. Mais si les références à la phase des Lumières ne choquent personne, celles à la Terreur risquent de faire basculer l’opinion publique. » En attendant, l’acte 8 des « gilets jaunes » se prépare.