Affaire Naomi Musenga: Comment vont être formés les futurs assistants de régulation médicale
FORMATION•Alors que la ministre de la Santé a annoncé la mise en place d’une formation initiale obligatoire pour les assistants de régulation médicale à compter de la rentrée 2019, un établissement en France propose déjà un tel cursus…Anissa Boumediene
L'essentiel
- Le 19 décembre dernier, près d’un an jour pour jour après la mort de Naomi Musenga, la ministre de la santé Agnès Buzyn annonçait la création d’une formation initiale obligatoire pour les assistants de régulation médicale.
- Une formation qui devrait être mise en place pour la rentrée 2019.
- A ce jour, un seul établissement en France propose une telle formation.
C’était il y a un an. Le 29 décembre dernier, Naomi Musenga perdait la vie quelques heures après avoir appelé le Samu de Strasbourg. La jeune femme de 22 ans n’avait pas été prise au sérieux par l’assistante de régulation médicale (ARM) qui avait répondu à son appel et refusé d’envoyer une équipe à son domicile pour la secourir. Un an plus tard, des enseignements ont été tirés de cette affaire tragique. Parmi les problèmes soulevés par la ministre de la Santé : le manque de formation des ARM. C’est pourquoi, le 19 décembre dernier, Agnès Buzyn a annoncé aux représentants d’urgentistes la mise en place d’une formation initiale pour les futurs ARM dès la rentrée 2019. A quoi ce cursus va-t-il ressembler ?
La mise en place d’un enseignement complet
Jusqu’à présent, la quasi-totalité des ARM étaient formés sur le tas durant les premières semaines de leur embauche. Une pratique bientôt révolue, puisque dès la rentrée prochaine, les futurs ARM devront suivre une formation initiale obligatoire. Un enseignement complet de « 1.470 heures sur un an, avec une moitié consacrée à l’enseignement théorique et l’autre moitié consacrée à l’enseignement pratique », confirme le ministère de la Santé, contacté par 20 Minutes. Pour savoir à quoi va ressembler ce cursus, direction le Pôle Santé Valentine Labbé à la Madeleine, près de Lille, où se trouve la seule formation initiale destinée aux ARM existant à ce jour en France. Chaque année, elle accueille jusqu’à trente étudiants, des jeunes bacheliers aux personnels de santé en reconversion, sélectionnés sur dossier. « Elle a été créée en 2003 à l’initiative des Samu 59 et 62 [Nord et Pas-de-Calais], qui ont souhaité monter une formation complète pour améliorer la prise de poste des ARM », raconte Caroline Delbaere, coordinatrice de la formation ARM.
Dans cette « formation en alternance, accessible post-bac, l’enseignement théorique couvre toutes les connaissances de base qu’un ARM doit acquérir, explique son collègue Yahyah Amrir, également coordinateur de la formation ARM au Pôle Santé Valentine Labbé et infirmier cadre de santé. Les étudiants reçoivent des cours d’anatomie, de physiologie, de sémiologie, de pédiatrie, de gynécologie : cela leur permet d’avoir des notions sur les différentes pathologies et situations auxquelles ils seront confrontés quand ils seront en poste ».
Si le cas de Naomi Musenga n’a pas entraîné de changement particulier dans le contenu pédagogique de la formation, certains cours se prêtent au dialogue et aux questions. « Les étudiants suivent également un cours sur la responsabilité, animé par un juriste », indique Yahyah Amrir. Pas question ici de débattre d’une instruction toujours en cours, mais « l’actualité récente nous pousse à attirer l’attention des étudiants sur la manière dont ils seront amenés à répondre à un appel d’urgence, à les appeler à faire preuve de vigilance, et leur rappeler que chaque appel est important ».
Des ateliers de simulations d’appels
Au Pôle Santé Valentine Labbé, en plus des connaissances théoriques, les étudiants apprennent la pratique de leur futur métier. Pour devenir assistant médical de régulation, il faut savoir faire face à toutes les situations qui pourraient se présenter en décrochant un appel d’urgence. Pour cela, « 150 heures d’ateliers de simulation sont au programme, ils sont animés par des médecins du Samu et des ARM en poste, indique Caroline Delbaere. Ces ateliers apprennent à nos étudiants à être réactifs dans la prise des appels, à être capable d’aller à l’essentiel, de recueillir les informations capitales avant de passer le relais au médecin régulateur du Samu ».
Durant ces ateliers de simulation, « qui peuvent se dérouler en français comme en anglais, comme cela peut être le cas dans la vraie vie, relève Yahyah Amrir, les étudiants sont mis en situation. Un médecin est au bout du fil dans une autre pièce et endosse le rôle de la victime. L’étudiant, lui, est devant son équipement complet, comme le serait un ARM, et répond à l’appel, observé par des médecins et des ARM, mais aussi par ses camarades, qui apprennent en observant la scène avant de passer à leur tour à la mise en situation ». Là encore, pas de changement particulier depuis l’affaire Naomi Musenga. « Les ateliers de simulation sont aussi l’occasion de pousser les étudiants dans leurs retranchements, pour qu’ils s’habituent à gérer tous types d’appels. Au début, ils peuvent paniquer un peu, ils oublient beaucoup de choses, puis, au fil des ateliers, les étudiants apprennent et acquièrent des réflexes, d’autant qu’un débriefing de chaque simulation d’appel est dispensé, c’est très formateur », complète Caroline Delbaere. Un enseignement pratique qui était au cœur des préconisations des représentants d’urgentistes.
Et pour appréhender au mieux ces ateliers et être opérationnels dans leurs futures fonctions, « les étudiants ont également des cours de communication et de gestion du stress, pour apprendre à gérer le leur mais aussi et surtout celui de l’appelant, à calmer son anxiété et l’apaiser dans des situations parfois dramatiques, parce qu’un ARM n’a que peu de temps pour recueillir un maximum d’informations », souligne Caroline Delbaere.
Des stages sur le terrain
Mais pour que les futurs ARM aient une idée encore plus concrète du profil de celles et ceux qui les appelleront, la formation prévoit plusieurs sessions de stages sur le terrain. « Chez les pompiers, SOS médecins, au Samu ou dans des services d’urgences à l’hôpital : l’objectif est de leur faire voir ce que traversent les personnes qui les sollicitent en appelant le Samu », insiste Yahyah Amrir. Un point de la formation sur lequel les représentants d’urgentistes étaient déterminés en remettant leurs préconisations à la ministre de la Santé il y a quelques mois. « Cette immersion dans les services d’urgences est essentielle, estime le Dr François Braun, président de Samu-Urgences de France. Quand les étudiants arrivent en stage aux urgences, ils voient de leurs yeux ce qu’est un patient en détresse, et ils peuvent suivre le travail de l’infirmière d’accueil et d’orientation, qui est en quelque sorte le pendant hospitalier du métier qu’ils exerceront au Samu, observer comment elle gère les patients qui arrivent aux urgences. C’est fondamental ». Un appel entendu par la ministre de la Santé, qui a assuré que la formation qui verra le jour en septembre prochain fera la part belle aux stages pratiques.
Enfin, chaque étudiant termine son année de formation par un stage de cinq semaines dans un Samu. « C’est un stage de professionnalisation, en immersion totale, conclut le coordinateur de la formation, pour être opérationnel dès sa prise de fonctions ».
Fière de la formation dispensée dans son établissement, l’équipe de direction et de coordination de la formation ARM du Pôle Santé Valentine Labbé voudrait aujourd’hui partager son expertise. « Nous avons élaboré un programme pédagogique complet, théorique et pratique, en collaboration avec des médecins du Samu et des ARM, et nous faisons ce travail de formation depuis des années, rappelle Caroline Delbaere. Nos cours sont validés par des médecins du Samu, et chaque année nous ajustons notre formation aux besoins du terrain pour être au plus près de la réalité », ajoute la coordinatrice de la formation. Pour Jean-Pierre Palka, responsable du Pôle Santé, « si un groupe de travail est lancé comme cela a été annoncé par Agnès Buzyn, nous proposons au ministère de la Santé d’être associé à la concertation ».