VIDEO. «Quand on mange de la viande, on vandalise les animaux et la planète», estime Aymeric Caron
INTERVIEW•Le journaliste et écrivain Aymeric Caron plaide pour un changement de nos modes de consommation et appelle chacun à devenir «tuteur du vivant»…Propos recueillis par Anissa Boumediene, vidéo de Paul Blin-Kernivinen
L'essentiel
- Dans VIVANT (éditions Flammarion), le journaliste et écrivain Aymeric Caron s’interroge sur la notion de vie. Il plaide pour la défense du vivant et appelle chacun à en devenir le tuteur.
- Pour l’auteur, vegan convaincu, cela passe nécessairement par un changement de nos modes de consommation et l’arrêt de la consommation de viande et de l’exploitation animale.
La viande, cela fait plus de vingt-cinq ans qu’il n’en mange plus. Aujourd’hui vegan convaincu, il n’utilise aucun produit « issu de la souffrance animale ». Sous sa plume comme dans son quotidien, Aymeric Caron défend le Vivant*, titre de son dernier ouvrage (éditions Flammarion). Un livre qui interroge sur la notion même de vivant, « depuis la naissance de la planète jusqu’à aujourd’hui, à un moment de notre histoire où nous, humains, avons commencé à provoquer la sixième extinction massive du vivant sur cette planète depuis 500 millions d’années ». Pour le journaliste et écrivain, « manger de la viande, c’est vandaliser la planète ».
Dans votre ouvrage, vous dénoncez les « viandales »…
Ce mot de viandale, j’ai voulu le proposer pour bousculer les esprits en disant : attention, vous n’en avez peut-être pas conscience, mais manger de la viande a des conséquences dramatiques, sur les animaux qui sont tués après avoir été maltraités, et sur la planète, puisque 14 % des gaz à effets de serre sont liés à l’élevage. Les élevages intensifs de porcs polluent les nappes phréatiques, la déforestation pour parquer les bêtes et faire pousser de quoi les nourrir participe au réchauffement climatique. Quand on mange de la viande, on vandalise les animaux et la planète. Beaucoup de gens qui mangent de la viande sont choqués lorsqu’ils découvrent cette vérité. Parce qu’on leur a menti, sur la question de l’exploitation animale, comme sur la nécessité pour notre santé de manger de la viande. Et le gouvernement participe de cette désinformation, pour des raisons économiques, mais aussi parce qu’il n’a même pas conscience de l’urgence de la nécessité de passer à un modèle agricole végétal.
Que répondez-vous à ceux qui vous opposent que si tout le monde arrête de manger de la viande, ce sera la disparition des vaches, cochons et autres poules de notre paysage ?
Ces vaches et cochons ont été modifiés génétiquement pour être mangés. Ces animaux sont produits, ils n’existent pas à l’état naturel. Si on arrête de les manger, ils reprendront leurs caractéristiques d’animaux sauvages au fil des générations, en liberté. Et si ne plus manger ces animaux signifie voir des espèces domestiques s’éteindre, ce n’est pas très grave en soi. On ne peut pas se réjouir, se satisfaire ou justifier quelques mois de vie souvent très pénibles pour ces animaux en disant : « regardez, c’est grâce à nous, exploiteurs, que ces animaux vivent ». Cela n’a aucune validité au plan moral.
De plus en plus de gens deviennent flexitariens, réduisent leur consommation de viande, privilégiant les filières respectant le bien-être animal. Que pensez-vous de ce « flexitarisme éthique » ?
Pour moi qui suis antispéciste, c’est une étape insuffisante. Je fais partie de ceux qui considèrent qu’on n’a pas à tuer des animaux pour se nourrir ou pour autre chose. A partir du moment où il n’y a pas de nécessité biologique, pourquoi le faire ?
Toutefois, devenir flexitarien est une première avancée dans la prise de conscience. Défendre un modèle où on mangerait moins de viande, de meilleure qualité, avec des animaux bien traités, pourquoi pas, mais on arrive à une impasse idéologique : cette viande-là pourra nourrir soit quelques pourcents de la population, soit toute la population à raison d’un morceau de viande par semaine ou par mois. Mais dans ce cas, pourquoi manger ce bout de viande ? Si on a réduit sa consommation à ce point-là et qu’on se porte très bien, cela montre que l’on n’en a pas besoin !
L’un des chapitres de votre livre est intitulé « Honte ». De quoi avez-vous honte ?
J’ai souvent honte de ce que réalise une partie du genre humain qui massacre la planète. Mais j’ai quand même une note d’espoir. Le genre Homo a généré une quinzaine d’espèces et Sapiens est la dernière d’entre elles. C’est un peu l’âge adolescent du genre humain, et il y en aura d’autres espèces. Je me dis que peut-être, la prochaine, que l’on pourrait qualifier d’Homo ethicus, saura mieux se comporter que nous ne l’aurons fait. L’être humain a acquis au fil des générations le rôle d’espèce dominante, et le fait qu’aujourd’hui, l’humain sur cette planète ait le pouvoir de vie et de mort – surtout de mort – sur tout ce qui l’entoure, cela lui confère des responsabilités, et je voudrais que l’homme prenne ses responsabilités, qu’il cesse d’être tueur et devienne tuteur du vivant.
La COP24 vient de s’achever. Les dirigeants de la planète sont-ils assez « tuteurs du vivant » ?
Le vrai problème, c’est que les gouvernements chargés de mettre en place les décisions prises lors de ces échanges prennent cela avec beaucoup de distance et ne s’embarrassent pas vraiment du respect de ces engagements. Il y a une conscience très nette que nous allons au-devant d’énormes catastrophes, ceux qui dirigent cette planète devraient prendre des mesures à la hauteur de cet enjeu, aller au-delà des seules déclarations d’intention du genre : « make our planet great again ». Il y a quelques semaines a eu lieu une COP14 en Egypte, consacrée à la biodiversité qui est en train de mourir, dans un silence général. Pourtant, le dernier rapport du WWF indique qu’au cours des 40 dernières années, nous avons perdu 60 % des populations d’animaux sauvages sur Terre. La mise en péril de cette biodiversité aura des conséquences sur notre mode de vie, notre agriculture, sur façon de nous nourrir. Aujourd’hui, nous sommes plus de 7 milliards d’êtres humains sur Terre, nous serons bientôt 10 milliards, et si la consommation de viande continue à augmenter au rythme actuel, notamment dans les pays émergents, il faudrait doubler la production d’ici 2050, alors que la planète sature déjà.
Est-ce pour cela que vous avez lancé votre mouvement politique ?
Oui, j'ai lancé le REV (Rassemblement des écologistes pour le vivant) parce que j’avais le sentiment que les questions écologiques ne sont pas suffisamment prises au sérieux par les partis politiques actuels – même ceux qui disent défendre ces questions en priorité, que ce soit les partis de gauche (LFI, Générations), ou EELV, qui n'est plus vraiment crédible. Je voulais un mouvement politique qui défendrait une autre vision de l’écologie, « une écologie métaphysique », qui s’interroge sur nos devoirs vis-à-vis du vivant. Pour moi, tout être vivant a une valeur intrinsèque, non pas utilitaire. Je considère qu’un cochon ou un arbre ont autant le droit de vivre que vous et moi. Or jusqu’à présent, les écologistes ont toujours expliqué qu’il fallait sauver la planète pour notre propre bénéfice, en pensant à nos petits-enfants, dans l’idée que la planète nous rend des services, qu’il faut préserver « nos ressources ». Une idée très anthropocentrée selon laquelle tout ce qui vit sur cette planète est à notre service.
Et nous dans tout ça, pouvons-nous individuellement améliorer les choses ?
Tout est fait pour nous faire croire que nous, Français, avons une influence marginale sur l’environnement et sur la cause animale. En réalité, tout dans notre quotidien nous rend complices, à commencer par nos modes de consommation. Pourtant, il existe un pouvoir d’action à l’échelle individuelle : sur la question des droits des animaux, on voit bien que ce sont les gens qui font bouger les choses. On peut s’exprimer au-delà du bulletin de vote, par notre manière de consommer : ne plus acheter de viande donne naissance à de nouveaux produits végétaux qui n’existaient pas il y a seulement 5 ans. L'espoir est là, il faut juste accepter de souffrir un peu, de renoncer à une forme de confort, même si ce n’est pas facile. Je crois à la résistance citoyenne et à la désobéissance civile.
Que ressentez-vous lorsque des lecteurs vous confient qu’ils ont arrêté de manger de la viande après avoir lu vos livres ?
Une des questions qui m’a toujours obsédé est celle de mon utilité : l’un des problèmes qui nous concerne tous est celui du manque de sens à notre vie. J’ai dès l’enfance décidé de résoudre cette angoisse existentielle en me disant qu’une réponse au mystère de notre existence était d’en faire quelque chose d’utile. Alors, quand quelqu’un me dit qu’un de mes livres l’a intéressé au point de cesser de manger de la viande, ce n’est pas mon ego qui est flatté, c’est plus mon âme d’enfant qui rêvait d’être un peu utile sur cette planète qui se dit « tiens, il y a peut-être quelques animaux épargnés », et qui se dit que cette idée de protéger les animaux infuse dans les esprits.
* VIVANT, De la bactérie à Homo ethicus, éditions Flammarion, en librairie depuis le 14 novembre, 19,90 euros.