«Gilets jaunes»: «Le ras-le-bol contre la politique fiscale est manifeste», selon le sociologue Louis Maurin
INTERVIEW•Le sociologue Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, analyse le sentiment de déclassement éprouvé par certains Français…Propos recueillis par Delphine Bancaud
L'essentiel
- Les classes moyennes sont en première ligne dans le mouvement des «gilets jaunes».
- L’augmentation des prix à la pompe constitue une illustration criante de la hausse de leurs dépenses contraintes et leurss salaires ont peu évolué ces dernières années.
- Le consentement à l’impôt dans cette catégorie de la population est en chute libre car certaines mesures fiscales lui semblent injustes.
Une population hétérogène avec des points communs. Les « gilets jaunes », qui agitent la France depuis mi-novembre, ont le sentiment que leurs conditions de vie se sont détériorées ces dernières années et se sentent victimes de la politique fiscale des derniers gouvernements. Le sociologue Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités revient sur les racines de ce malaise social.
Le mouvement des « gilets jaunes » révèle-t-il un sentiment de déclassement éprouvé par une partie des Français ?
Oui, notamment chez les jeunes. Car ceux qui ont fait des études ne parviennent pas toujours à atteindre la position qu’ils auraient méritée et éprouvent des difficultés d’insertion dans le monde du travail. Un diplôme équivalent ne donne plus accès au même poste et au même niveau de vie que pour leurs parents. D’où leur rancœur par rapport au projet social qu’on leur avait vendu. De plus, les plus jeunes subissent les effets de la hausse des prix du logement.
L’ascenseur social est-il en panne en France actuellement ?
Non, il marche encore, mais ne va pas à la même vitesse qu’il y a trente ans. Il y a une moindre mobilité sociale aujourd’hui. Les Français les plus pauvres parviennent plus difficilement à sortir de leur condition. Mais ce n’est pas eux qui se font entendre avec le mouvement des « gilets jaunes ». Ils n’ont d’ailleurs pas de voiture, donc n’expriment pas de revendications quant aux taxes sur le carburant. Mais ils se sentent oubliés par le gouvernement.
Vous estimez que ce sont surtout les classes moyennes qui sont concernées par ce mouvement, mais pourquoi se sentent-elles lésées ?
Parce que même si le nombre de personnes de cette catégorie continue à croître, leur niveau de vie stagne depuis une dizaine d’années. Les classes moyennes disposent d’entre 1.245 et 2.359 euros par mois pour vivre pour une personne seule, d’entre 2.435 et 4.378 euros pour un couple et d’entre 3.253 et 5.609 euros pour un couple avec deux enfants. Leurs salaires ont peu évolué ces dernières années. Alors qu’elles ont subi des hausses d’impôts au début du quinquennat précédent, la hausse de la CSG au début de celui d’Emmanuel Macron et une augmentation des taxes sur les carburants… Et même si les salariés ont vu leurs cotisations sociales baisser au 1er octobre 2018, le gain en pouvoir d’achat n’a pas été ressenti comme tel. Par ailleurs, les ménages sont très sensibles à l’évolution des prix de l’alimentation et des biens de premières nécessité. Et la flambée des prix des logements les oblige à payer plus cher pour habiter près des villes ou à s’ en éloigner de plus en plus. Il faut souligner aussi que les classes moyennes se sentent davantage fragilisées par les accidents de la vie : le chômage, une séparation, une longue maladie… Elles craignent dans ces cas-là de revenir à la case départ.
Le consentement à l’impôt dégringole-t-il chez ces Français ?
Oui, le ras-le-bol contre la politique fiscale est manifeste, non par avarice ou par incivisme, mais car une partie des Français doutent que leurs impôts soient bien utilisés au vu de la moindre bonne couverture des services publics sur tour le territoire. Par ailleurs, ils trouvent injustes certains pans de la fiscalité dans notre pays. Cette contestation fiscale a été ravivée par le pacte de responsabilité mis en place par François Hollande en 2013, qui a abouti à un allégement de charges de 41 milliards d’euros accordé aux entreprises en échange de la création ou de la sauvegarde de 120.000 emplois seulement. La suppression de l’impôt sur la fortune au début du quinquennat d’Emmanuel Macron a également crispé une partie des Français, ainsi que la mise en place d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % sur les revenus du capital, bien inférieur au taux d’imposition précédent. Les classes moyennes se sentent hors des clous pour les baisses d’impôts et n’ont pas les moyens de se payer un conseiller fiscal. D’où leur impression de se faire avoir.