REPORTAGE«Tant qu’on ne sera pas entendu, on sera là», assurent les «gilets jaunes»

«Gilets jaunes» en Gironde : «Je n’ai pas envie d’être une charge pour mes enfants»

REPORTAGEDans le Libournais, des ronds-points continuent à être occupés par des « gilets jaunes », déterminés à se faire entendre auprès du gouvernement…
Dans le libournais, les gilets jaunes sont fiers de dire qu'il n'y a jamais eu de débordements sur ce rond-point.
Dans le libournais, les gilets jaunes sont fiers de dire qu'il n'y a jamais eu de débordements sur ce rond-point.  - E.Provenzano / 20 Minutes
Elsa Provenzano

Elsa Provenzano

L'essentiel

  • En Gironde, dans le secteur du Libournais, des ronds-points continuent à être occupés par des « gilets jaunes », déterminés à se faire entendre auprès du gouvernement.
  • S’ils condamnent les dégradations commises à Paris, ils estiment que parier sur le pourrissement du mouvement ne fera qu’aggraver ces dérives.
  • En Gironde, certains « gilets jaunes », sont favorables à un vote pour désigner des représentants départementaux.

«Vous arrivez à un moment où on n’est pas nombreux, les jeunes viennent le midi quand ils peuvent ou plutôt le soir », avertit d’entrée Jacky, 60 ans, un routier à la retraite qui porte les cheveux longs et le cigarillo vissé au coin de la bouche. Avec Philippe, 64 ans, et deux autres « gilets jaunes » mobilisés depuis le début du mouvement, initié la 17 novembre, ils occupent un rond-point devant le centre commercial Leclerc près de Castillon-la-Bataille en Gironde.

Les retraités occupent les ronds points le matin et sont rejoints le soir par les actifs.
Les retraités occupent les ronds points le matin et sont rejoints le soir par les actifs.  - E.Provenzano / 20 Minutes

Samedi, ils étaient 180 mais en semaine, ils « tiennent » le rond-point, sans bloquer la circulation. Ces irréductibles, des retraités pour la grande majorité, ont allumé un feu dans un brasero et édifié une tente de fortune, avec des bâches et des palettes, pour se protéger de la pluie et du froid. « On est prêts à passer Noël ici s’il le faut, on sera bien on a du feu et tout ce dont on a besoin », lance Philippe. « De toute façon on est acculés », ajoute Jacky. Celui-ci reçoit un appel de son épouse, qui l’informe que des sympathisants ont fait des dons de nourriture pour les « gilets jaunes », à récupérer sur le marché local.

Un soutien fort au mouvement

Ils se félicitent de ces gestes de solidarité et du soutien d’automobilistes et de routiers, nombreux à klaxonner en passant le rond-point, dans ce secteur du Libournais, qui fait partie du couloir de la pauvreté identifié par l’Insee en 2011. « Les routiers ne peuvent pas participer car on les menace de leur sucrer leur permis, et il est très cher », explique Jacky, retraité de la route. Le gilet jaune s’affiche sur de nombreux pare-brise dans ce coin du département.

Les voitures s'arrêtent facilement près de Castillon-la-Bataille en Gironde, pour parler avec les gilets jaunes.
Les voitures s'arrêtent facilement près de Castillon-la-Bataille en Gironde, pour parler avec les gilets jaunes.  - E.Provenzano / 20 Minutes

Jacky s’est mobilisé pour défendre son pouvoir d’achat et celui de ses enfants. « J’ai déjà perdu 300 euros par mois sur ma retraite ces dernières années, je touche seulement 950 euros. Et vous avez vu les prix des maisons de retraite ? C’est au moins 2.000 euros. Je n’ai pas envie d’être une charge pour mes enfants ». Son fils, cuisinier de 23 ans, habite encore chez lui car il ne peut pas se loger.

Même son de cloche du côté de Philippe, ancien bûcheron qui touche une retraite de 980 euros. « La France est un pays riche mais seulement pour ceux d’en haut », déplore-t-il. « Il faut une baisse des impôts et des taxes pour les plus pauvres et que ceux qui gagnent le plus soient taxés », résume Jacky.

Opposés aux violences

« Je ne cautionne par la casse qu’il y a eue à Paris mais le gouvernement pousse vraiment le mouvement dans les extrêmes, estime Jacky. Parmi les responsables il y a des casseurs et des "gilets jaunes" poussés à bout. Et je pense que si le gouvernement parie sur le pourrissement du mouvement, il y aura de plus en plus de casseurs ». Un autre, âgé de 53 ans, condamne les violences : « Elles salissent le mouvement alors que c’est une mobilisation juste, qui concerne tout le monde. Il faut qu’ils lâchent du lest en haut ».

Sur un autre rond-point, proche de Libourne, un petit groupe casse la croûte, sous un barnum. « Paris c’était inévitable, cela ne peut que monter crescendo, estime une sexagénaire. Tant qu’on ne sera pas entendu, on sera là. Et le moratoire ne suffira pas, il faut une revalorisation du pouvoir d’achat ». « Ici, il n’y a pas eu de débordements depuis le 17, souligne fièrement son voisin. On boit le café avec les forces de l’ordre. »

Quelle organisation pour la suite ?

« Il faut faire bloc et désigner en organisant un vote, un ou plusieurs représentants pour le département, estime Jacky. Il faut bien qu’on ait un interlocuteur sinon on va rester dans l’impasse ». S’ils sont d’accord avec les représentants nationaux du mouvement, ils souhaitent que des porte-paroles locaux portent les problématiques spécifiques au territoire.

Sur l’autre rond-point, les « gilets jaunes » n’ont pas exactement la même vision de l’avenir du mouvement. Ils souhaiteraient que les doléances soit remontées par leurs élus locaux auprès du gouvernement et ensuite, ils estiment qu’un référendum national sur les questions essentielles est inévitable. Il faut que tout le monde s’exprime, selon eux, sinon le risque est de reproduire les mêmes écueils que ceux qu’ils reprochent aux partis politiques.

Pour l’heure, les « gilets jaunes » sont prêts à installer leur mouvement dans la durée en Gironde. « On n’est plus motivés que jamais », lance l’un d’entre eux.