11-Novembre: Qui est Albert Roche, le «premier soldat de France» aux 1.200 soldats allemands capturés?
CENTENAIRE•Présenté comme le « libérateur » des Alsaciens et « le premier soldat de France » par le maréchal Foch à son arrivée à Strasbourg fin novembre 1918, Albert Séverin Roche compte des exploits fous. Mais il est méconnu…Bruno Poussard
L'essentiel
- Parmi les folles histoires qu’on raconte sur Albert Roche, ce membre du 27e bataillon des chasseurs alpins aurait entre autres capturé plus d’un millier d’Allemands pendant la Grande Guerre.
- Pourtant, le soldat reste méconnu au-delà des spécialistes et de son village de Réauville, dans la Drôme, qui va honorer sa mémoire à l’heure du centenaire de l’armistice.
«Ses exploits ne se comptent pas », écrit Paris Soir après sa mort, en 1939. Pourtant, à en croire les articles à son sujet, Albert Séverin Roche, ce serait : 1.180 prisonniers de guerre et neuf blessures pendant la Première Guerre mondiale. Puis une phrase légendaire du maréchal Foch au balcon de l’hôtel de ville de Strasbourg (Bas-Rhin) après l’armistice : « Alsaciens, je vous présente votre libérateur, le premier soldat de France ! »
La citation du commandant aux côtés de ce « modeste soldat » en « uniforme bleu et béret des chasseurs alpins » né en 1895 est reprise par l’historien Pierre Miquel dans La Grande Guerre au jour le jour. Le moment est daté au 27 novembre, quelques jours après l’entrée des troupes françaises dans la ville. Une photo reste. Mais ce jour n’est pas particulièrement connu.
« Le 27 novembre 1918, le généralissime embarque Albert avec lui sur le balcon de l’hôtel de ville de Strasbourg et, devant la foule rassemblée là, déclare : « Alsaciens, je vous présente votre libérateur Albert Roche. C’est le premier soldat de France ! » #Fin pic.twitter.com/VY5tSkuAyI — Guillaume Nicoulaud (@ordrespontane) 25 avril 2018 »
« C’est une époque où il y a tous les jours des parades, des cérémonies et des festivités en Alsace, explique Raphaël Georges, docteur en histoire. Les héros trouvent leur place, ils sont glorifiés, avant de se tourner vers le pacifisme. » Pourtant, Albert Roche reste un héros méconnu, malgré les folles histoires racontées sur lui dans plusieurs théâtres de la Grande Guerre.
Toujours les mêmes histoires de combats à revenir
De sa petite biographie publiée dans Paris Soir à celles parues dans le Dauphiné Libéré et un hors-série de L'Express, les mêmes récits de ses exploits reviennent toujours, repris sur sa courte page Wikipédia. Le quotidien national les introduit d’ailleurs en parlant de « hauts faits, dont certains tiennent de la légende ». Retour dans le temps, à partir de son entrée en campagne à 19 ans fin 1914 dans l’Est :
- Avant d’être en âge de faire son service militaire, Albert Roche a quitté sa famille à Réauville (Drôme) pour partir à la guerre, sans l’aval de son père, fermier. Mais, mal noté en instruction, il se serait enfui, aurait risqué la prison, et négocié jusqu’à gagner le front, dans l’Aisne. Un moment où il y avait encore peu de jeunes combattants.
- Premier exploit sur le front : alors que ses responsables voulaient envoyer un groupe de quinze soldats pour s’occuper d’un nid de mitrailleuses allemandes, il aurait demandé à y aller seul, avec deux amis. Une position dont il aurait réussi à s’emparer en jetant des grenades dans un tuyau de poêle de ses adversaires.
- Preuve des longs déplacements des soldats en fonction des besoins sur le front, Albert Roche s’est ensuite illustré dans le sud de l’Alsace, sur le front de montagne des Vosges. Parmi les derniers combattants français au Sudel, il aurait été capturé par les Allemands, avant de réussir à s’enfuir en dérobant un pistolet dans une casemate.
- Au chemin des Dames (seconde bataille de l’Aisne), il aurait rampé six heures dans les tranchées pour aller chercher son capitaine blessé. Revenu à son poste dans les lignes françaises, il aurait ensuite été accusé d’avoir abandonné son poste. Risquant d’être fusillé, son capitaine l’aurait finalement sauvé en sortant à temps du coma.
Par manque d’éléments, une histoire ponctuée d’incertitudes
Malgré ses 12 décorations, le nom d’Albert Séverin Roche n’est cité ni dans les livres d’histoire, ni à la fac. En fait, ce héros militaire est surtout connu des passionnés de la Grande Guerre. Vincent Cuvilliers, aussi docteur en histoire, remarque : « Il est souvent mis en avant pour quelqu’un plus grand que lui. » Avec Foch mais pas seulement, à en croire les sources déjà citées :
- A la place d’honneur d’un banquet officiel avec le général Mangin à Strasbourg fin novembre 1918.
- Aux obsèques du maréchal anglais Lord French, à Londres, lors d’un dîner à la table du roi Georges V.
- Dans la « délégation des braves » désignés pour porter la tombe du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe.
Mais sur les photos restantes de ces événements, difficile de le reconnaître. Par manque d’éléments historiques précis, difficile de préciser tous les détails de ces folles anecdotes. Dans le film 11 novembre 1918 à Strasbourg encore visible, pas de traces du balcon de l’hôtel de ville le 27 novembre, par exemple. Son histoire aux nombreuses médailles reste ponctuée de petites incertitudes.
Quelques documents mais pas de travaux historiques
La maire de son village d’origine Réauville a monté une commission historique pour y honorer sa mémoire le dernier week-end du mois, 100 ans après les mots du maréchal Foch. Au-delà des documents originaux de ses citations gardés par ses petits-enfants, d’articles d’époque et d’écrits d’une ex-institutrice de la commune, pas grand-chose n’a pu être exhumé.
« Les faits restent vagues, précise Marie-Hélène Soupre. Les histoires ne sont jamais très détaillées. » Pas plus au 27e bataillon des chasseurs alpins d’Annecy (celui d’Albert Roche). Rien du tout aux archives du Bas-Rhin ou de la Drôme. Recherches frustrantes. « Et à Avignon, la maison de sa fille a été bombardée pendant la Seconde Guerre mondiale », ajoute l'édile.
Aucun historien ne s’est visiblement focalisé sur Albert Roche. « Un écrivain bordelais intéressé nous a contactés mais il a laissé tomber après car il n’avait pas suffisamment d’éléments », ajoute Marie-Hélène Soupre. Enseignant et au service éducatif des archives du Bas-Rhin, Vincent Cuvilliers complète : « On est plus dans un récit que dans une recherche historique. »
Méconnu, même dans la Drôme, sauf peut-être à Réauville
« Méconnu même dans la Drôme », d’après Philippe Bouchardeau de la société d’histoire du département, Albert Séverin Roche est en tout cas décédé dans des conditions tragiques, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Le héros de guerre devenu cartonnier à la sortie du conflit vingt ans plus tôt a été fauché à Sorgues (Vaucluse) à la descente d’un bus.
A travers les décennies, une promo de chasseurs alpins portant son nom a fait perdurer sa mémoire. Une autre de pompiers de Paris pourrait faire de même. Un timbre a été édité. Mais c’est à Réauville qu’il est le plus reconnu. Depuis le début des années 1970, une place y porte son nom et un buste en bronze y a été installé. Une plaque orne aussi la maison où il est né.