Droit de vote des handicapés: «Etre sous tutelle n'empêche pas d'avoir des opinions politiques»
CITOYENNETE•Les personnes handicapées sous tutelle auront à l'avenir un droit de vote inaliénable et pourront aussi se marier, se pacser et divorcer, sans qu'un juge puisse les en priver...T.L.G.
L'essentiel
- Édouard Philippe a présenté «dix nouvelles» actions pour permettre selon lui de leur « faciliter la vie » et leur « redonner toute la citoyenneté ».
- 20 Minutes s’intéresse à l’une des mesures les plus symboliques : le droit de vote inaliénable des personnes mises sous tutelle.
«Changer le quotidien » des personnes handicapées. Mariage et divorce, « simplification administrative », instauration d’aides « à vie », accessibilité… À l’occasion du deuxième comité interministériel du handicap du quinquennat, Édouard Philippe a présenté «dix nouvelles» actions pour permettre selon lui de leur « faciliter la vie » et leur « redonner toute la citoyenneté ». 20 Minutes s’intéresse à l’une des mesures les plus symboliques : le droit de vote inaliénable des personnes mises sous tutelle.
De quoi parle-t-on ?
En juillet dernier devant le Congrès à Versailles, Emmanuel Macron avait reçu une salve d’applaudissements en plaidant pour « une politique de retour vers la citoyenneté pleine et entière » pour les personnes mises en tutelle. L’objectif est que « tout le monde puisse voter, au plus tard, aux prochaines élections municipales de 2020 », a précisé Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, dans un entretien au Parisien-Aujourd’hui en France, ce jeudi.
Qui est concerné ?
La ministre a indiqué vouloir supprimer l'article L5 du code électoral, qui donne la faculté au juge des tutelles de retirer le droit de vote aux majeurs sous tutelle. Pour rappel, cette mesure judiciaire s’adresse à une personne majeure ayant besoin d’être représentée de manière continue dans les actes de la vie civile : du fait de l’altération de ses facultés mentales ou lorsqu’elle est physiquement incapable d’exprimer sa volonté.
Sur les 365.000 personnes mises sous tutelle*, l’amputation du droit de vote concernerait « environ 300.000 personnes », principalement avec « un handicap mental et psychique », a précisé la ministre.
Pourquoi a-t-on retiré le droit de vote à certaines personnes handicapées ?
Les personnes défendant le maintien de la législation actuelle évoquent un risque de manipulation. « Le droit de vote est quelque chose d’extrêmement personnel. Or un individu présentant un handicap mental lourd risque de voir son suffrage dévoyé », relevait ainsi la présidente de l’Association nationale des juges d’instance au journal La Croix en janvier 2017. « L’autre jour, dans mon bureau, une jeune femme insistait pour que je rétablisse le droit de vote de sa maman qui ne se sentait aucunement concernée. Elle voulait clairement s’arroger la voix de sa mère », témoignait ainsi une juge dans le même article.
Un « permis de voter » inadmissible pour les associations. « Le droit de vote est un droit fondamental. Actuellement, la France n’est pas en accord avec la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées des Nations unies. On peut placer des personnes en tutelle pour les aider à gérer leur vie, parce qu’elles ne sont par exemple pas capables d’avoir un compte bancaire. Mais cela ne les empêche pas pour autant d’avoir des opinions politiques », affirme à 20 Minutes l’Unapei, fédération regroupant 550 associations bénévoles. « Les inquiétudes autour des éventuelles influences ne tiennent pas puisqu’elles concernent l’ensemble des citoyens ».
Même propos pour la secrétaire d'Etat au Parisien: « Tout le monde est influençable, c’est la conception même de notre démocratie. C’est aussi le même argument que l’on a tenu pour éloigner les femmes du droit de vote jusqu’en 1946 ».
Comment permettre aux personnes sous tutelle de voter ?
L’article du code électoral donnant la faculté au juge des tutelles de retirer le droit de vote aux majeurs sous tutelle devrait donc être abrogé. Mais cette décision doit s’accompagner de garanties, indique l’Unapei. « Il y a eu des débats houleux sur la question des procurations. Il faut que certaines protections soient garanties : ne pas pouvoir la donner à son mandataire judiciaire est une bonne chose », indique la fédération, qui demande aussi un meilleur accompagnement vers la citoyenneté. « C’est-à-dire l’accès à l’information. Cela passe par des transcriptions des programmes politiques pour faciliter leur compréhension, garantir l’accès aux bureaux et aux techniques de vote, la formation des personnes sur ces bureaux, la lutte contre les préjugés, etc. ».
*Selon des chiffres du ministère de la Justice datant de fin 2014.