EDUCATIONComment développer des cours en anglais dans plusieurs matières?

Développer des cours en anglais dans plusieurs matières, est-ce que c'est faisable en France?

EDUCATIONC'est l'une des recommandations du rapport « pour une meilleure maîtrise des langues vivantes étrangères », remis ce mercredi à Jean-Michel Blanquer...
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

L'essentiel

  • Le fait que plusieurs disciplines soient enseignées dans la langue de Shakespeare ou dans une autre, permettrait aux élèves de davantage la pratiquer.
  • Certains établissements se sont déjà lancés dans l’aventure et en tirent un bilan positif.
  • Mais ce dispositif n’est pas facile à mettre en place car il faut que les profs soient formés à enseigner en langue étrangère et soient surtout volontaires pour le faire.

Ne plus réserver la pratique de la langue aux seuls cours de langue. C’est une des recommandations du rapport « pour une meilleure maîtrise des langues vivantes étrangères », remis ce mercredi à Jean-Michel Blanquer. « Le nombre d’heures de cours de langues étrangères étant réduit, le fait de les utiliser dans d’autres disciplines permet d’augmenter l’exposition des élèves aux langues », explique à 20 Minutes, Chantal Manes, coauteur du rapport. Il est vrai que du CP au CM2, seulement 1h30 par semaine est consacrée à l’apprentissage d’une langue étrangère. Et au collège et au lycée, les forts effectifs par classe ne permettent pas à chaque élève de prendre la parole suffisamment.

Cette idée séduit le ministre de l’Education, qui prévoit déjà d’élargir la possibilité d’enseigner une discipline dans une autre langue que le français dans le cadre de la réforme du lycée. Certains établissements n’ont d’ailleurs pas attendu ce rapport pour se lancer. Au lycée, les sections européennes mettent en œuvre ce type de cours. Et dans l’académie de Grenoble, une trentaine d’établissements participent actuellement au projet Emile (enseignement de matières par l’intégration d’une langue étrangère).

« Je voulais que l’anglais soit un vecteur d’apprentissage »

C’est le cas du collège Les Barattes à Annecy-le-Vieux, qui a mis en place ce dispositif depuis 5 ans pour assurer une continuité avec ce qui avait été fait dans l’école élémentaire voisine. « Je voulais que l’anglais soit un vecteur d’apprentissage et non plus uniquement un objet d’apprentissage. Et que progressivement, les élèves oublient qu’ils parlent anglais dans certains cours », explique à 20 Minutes Pierre Gille, le principal du collège.

Et les résultats sont probants : « Les élèves sont plus à l’aise à l’oral. D’ailleurs en fin de collège, beaucoup ont le niveau B1 qui est atteint par la plupart des élèves de terminale des sections européennes et internationales », constate Pierre Gille. « Ces cours sont aussi plus motivants pour les élèves », observe aussi Chantal Manes. Reste à savoir si certaines compétences en maths par exemple, ne sont pas plus compliquées à acquérir lorsque les cours sont en anglais. « Non, car les élèves sont plus concentrés en cours et ils assimilent mieux les consignes », affirme Pierre Gille. « Les élèves surmontent très vite les difficultés et leurs résultats en langue comme dans les autres disciplines le montrent », soutient Chantal Manes.

Un déficit de formation des profs

Les élèves ne sont pas les seuls gagnants dans l’affaire. Au collège Les Barattes, les profs qui se sont lancés sont ravis, selon le principal : « Cela a représenté un nouveau défi pour leur carrière et cela leur a apporté une ouverture culturelle supplémentaire. Ils ont aussi davantage travaillé en équipe ». Reste un inconvénient de taille pour Pierre Gille : il ne peut proposer tous les cours du collège en anglais et fait forcément des déçus chez les élèves et leurs parents. « On met en place des classes à deux vitesses. Le fait que ces cours en langue étrangère ne soient pas accessibles contribue à creuser les inégalités », estime Claire Krepper, professeur d’anglais et secrétaire nationale du syndicat SE-Unsa.

Mais mettre en place des cours en anglais dans différentes matières n’est pas chose aisée. Pour le faire dans le secondaire, il faut d’abord que les enseignants obtiennent une certification complémentaire en langue vivante. « Cette certification est assez exigeante et ceux qui la passent le font souvent en dehors de leur temps de travail. Ce qui implique un fort investissement personnel », note Claire Krepper. « Mais certaines académies aident les candidats à se préparer à l’examen », informe Chantal Manes. Son rapport recommande d’ailleurs de créer une épreuve optionnelle de langue au Capes, qui si elle est réussie, déboucherait sur le certificat.

« L’idée n’est pas de contraindre les enseignants »

En primaire, cette certification n’est pas nécessaire, « mais beaucoup d’enseignants sont complexés par leur niveau d’anglais et il y a peu d’heures de langues dans les ESPE. Donc hormis ceux qui ont acquis une bonne maîtrise de l’anglais lors de leurs études supérieures, on peut s’imaginer que beaucoup de profs n’oseront pas se lancer », poursuit-elle. « L’idée n’est pas de contraindre les enseignants à se lancer s’ils ne le souhaitent pas, mais de leur proposer cette ouverture possible », tempère Chantal Manes.

Au collège Les Barattes, six profs se sont lancés dans l’aventure et ont obtenu ladite certification : « Des cours de maths, d’EPS, d’histoire-géo et de SVT sont désormais dispensés dans la langue de Shakespeare », indique Pierre Gille. Pour les inciter à se jeter à l’eau, le principal a aussi recruté une enseignante américaine qui co-intervient avec les profs démarrant les cours en anglais. « Elle leur transmet aussi des méthodes pédagogiques anglo-saxonnes plus axées sur la participation de l’élève », précise-t-il. Mais étonnamment le collège n’a pas reçu de subvention spécifique du ministère pour mettre en œuvre le projet. « Dans tous les établissements qui ont mis en place ce type d’expérimentation, les moyens sont pris sur la marge d’autonomie des établissements », explique Claire Krepper. Ce qui peut constituer un obstacle au développement de ce type d’initiative. D’autant que même s’ils savent enseigner dans une autre langue que la leur, les enseignants ne reçoivent aucun bonus pour cela…