TERRORISMEAttaque au couteau de Trappes: Une revendication opportuniste de Daesh?

Attaque au couteau de Trappes: «L'opportunisme peut être du côté de Daesh mais aussi de l’assaillant»

TERRORISMEFaut-il voir l’ombre de Daesh derrière l’attaque au couteau perpétrée à Trappes jeudi ? L’organisation terroriste la revendique, quand les autorités françaises décrivent plus l’assaillant comme un « déséquilibré ». Incompatible ?….
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Moins de deux heures après les faits, Daesh a revendiqué jeudi l’attaque au couteau perpétrée à Trappes (Yvelines). Les habitants qui ont connu l’assaillant, comme les autorités françaises, présentent plus Kamel. S comme un « déséquilibré ».
  • Auparavant très fiable dans ses revendications, Daesh a changé de stratégie à mesure qu’elle perdait en puissance militaire et en capacité de nuisance en Occident. Plusieurs de ses revendications ont été jugées opportunistes ces dernières années.
  • Mais la frontière reste tenue entre « ce qui relève du déséquilibre psychiatrique et ce qui relève du terrorisme », estime le politologue Abdelasiem El Difraoui, spécialiste de la propagande islamique.

«On parle de terrorisme, mais ce n’est pas un terroriste, c’est un mec qui a pété les plombs ». Au lendemain de l’attaque au couteau à Trappes (Yvelines), ceux qui ont connu l’assaillant, Kamel S. ont du mal à adhérer à l’idée d’une attaque terroriste commandée à distance par Daesh.

Qualification de droit commun

Pourtant, moins deux heures après l’attaque qui a fait deux morts -la mère et la sœur de l’assaillant – et blessé gravement une passante, l’organisation terroriste a publié un communiqué sans ambiguïté : « Un soldat de l’État islamique a perpétré l’attaque en réponse à l’appel à cibler les ressortissants des pays de la coalition ». L’appel en question est le message audio du chef de Daesh, Abou Bakr al-Baghadi, diffusé la veille sur la messagerie cryptée Telegram par des comptes pro-EI (groupe Etat islamique). Après près d’un an de silence, Abou Bakr al-Baghadi appelait ses partisans à poursuivre le « djihad » et exhortait ceux présents en Occident à mener des attaques à l’explosif ou à l’arme blanche « sur leurs terres ».

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Revendication opportuniste ? C’est la thèse pour laquelle penchent à ce jour les autorités françaises. Depuis Trappes, Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, soulignait jeudi que Kamel S. avait des problèmes psychiatriques « importants » et présentait davantage le profil d’un « déséquilibré » que quelqu’un d’engagé et quelqu’un qui pouvait par exemple répondre aux ordres et aux consignes d’organisations terroristes et de Daesh en particulier. L’enquête n’a d’ailleurs pas été confiée au parquet antiterroriste mais au parquet de Versailles avec une qualification de droit commun.

Daesh et déséquilibre psychiatrique, pas incompatible ?

Joint par 20 Minutes, le politologue Abdelasiem El Difraoui, spécialiste de la propagande djihadiste et auteur du Que sais-je Le Djihadisme et Al-Qaida par l’image : La prophétie du martyre (ed. PUF), est plus partagé. « Il est très compliqué dans certains cas de déterminer ce qui relève du déséquilibre psychiatrique et ce qui relève du terrorisme, de savoir quel est le facteur dominant », observe-t-il.

L’attaque au couteau de Trappes est visiblement typique de cette frontière tenue. Kamel S. était inscrit fiché S à la suite d’une condamnation pour apologie du terrorisme en 2016. Le mode opératoire de l’attaque, mais aussi les paroles tenues pendant l’acte - « Allah akbar, si vous entrez, je vous fume tous », a-t-il crié aux policiers alors qu’il était retranché dans un pavillon- laissent penser à une attaque terroriste.

Et puis « terrorisme » et « déséquilibre mental » ne s’opposent pas forcément. « Je travaille avec des chercheurs, des psychiatres notamment, qui étudient en prison le profil des jeunes djihadistes, reprend Abdelasiem El Difraoui. La majorité présente de grands traumatismes voire ont des profils de psychopathes pour certains. Daesh essaie d’attirer dans ses rangs ce type de public : des personnes fragiles, qui cherchent une appartenance à un groupe, un sens à leur vie voire une justification à des pulsions suicidaires. »

Un opportunisme des deux côtés ?

Une stratégie nouvelle ? « Auparavant, Daesh était très fiable dans ses revendications et ne s’appropriait que des attaques qu’elle avait préparées ou à la rigueur téléguidées, poursuit Abdelasiem El Difraoui. La donne a changé. L’organisation terroriste n’arrive plus à organiser des attaques symboliques en Occident et est en déclin militairement. Elle est aux abois et cherche à faire parler d’elle par tous les moyens, y compris en revendiquant des attaques comme celle de Trappes. Mais l’opportunisme peut aussi être du côté de l’assaillant. Reprendre le mode opératoire de Daesh peut être une façon de donner plus d’ampleur, plus d’écho médiatique à leur geste. »

« L’organisation ne fonctionne plus pareil, analyse aussi le chercheur et consultant Romain Caillet, auteur du blog Jihadologie) dans les colonnes de Libération. Maintenant, dès qu’une attaque leur correspond à peu près, ils y vont. Pour moi, c’est clair qu’ils cherchent sur Google des informations pour crédibiliser une revendication. »

L’énigme de la tuerie de Nice

Plusieurs revendications d’attentat par Daesh ont en effet récemment posé question. La fusillade de Las Vegas par exemple qui a fait 58 morts et plus de 500 blessés en octobre 2017 à un concert de musique country. Daesh avait revendiqué l’action de l’un de ses soldats. Il s’est avéré après coup que le profil de l’auteur, Stephen Paddock, ne collait pas du tout. Un retraité blanc de 64 ans, originaire du Nevada et aimant la tequila, les burritos et les casinos. Dans une seconde déclaration, le groupe terroriste islamiste avait affirmé que Stephen Paddock s’était converti récemment à l’Islam, ce qu’ont démenti ses proches. Eric Paddock a affirmé que son frère n’avait « aucune affiliation religieuse ou politique » et devait avoir pété les plombs. »

Autre revendication énigmatique : la tuerie de Nice qui avait fait 86 morts et près de 500 blessés le 14 juillet 2016. Là encore, Daesh n’avait pas tardé pour présenter Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, l’assaillant, comme l’un de ses soldats. Le mode opératoire collait en effet en tout point aux méthodes djihadistes. Mais après deux ans d’enquête, la justice n’est toujours pas parvenue pour l’instant à relier Lahouaij-Bouhlel à l’État Islamique. Tout comme Kamel S., le Niçois présentait lui aussi d’importants troubles psychiatriques.

La stratégie de revendication tous azimuts de Daesh n’est en tout cas pas sans frais. Elle témoigne d’un Daesh « désespéré » prêt à tout pour faire parler d’elle. « Je ne suis pas sûr que l’attaque de Trappes dans laquelle un homme qui tue sa mère et sa sœur, ait l’approbation de tous les sympathisants de l’organisation terroriste », note Abdelasiem El Difraoui.